La capitale

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Quelques semaines se sont écoulées depuis que j'ai mis un terme à ma relation avec Aicha, ou du moins je ne saurais prétendre que nous avons rompu, car ce terme ne saurait exprimer la complexité de notre situation. Cependant, depuis que sa mère a décrété que notre amour était voué à l'impossible, il ne se passe guère un jour sans que son image ne hante mes pensées. Même si ma mère a presque supplié que j'efface cette jeune fille de ma mémoire, je me trouve dans l'incapacité d'y parvenir. Je crois que c'est tout simplement impossible. Un amour véritable ne peut être effacé aisément, voire jamais.

Ce matin-là, je m'éveillai à l'aube, avant que l'appel du muezzin ne résonne. Dans la quiétude, j'accomplis mes ablutions, m'enveloppai de ma jalaba, un présent que ma mère m'avait offert lors de mon dernier anniversaire. J'accomplis la prière du Fajr, puis j'égrène mon chapelet jusqu'à l'ascension du soleil. Je formulai mes douas, puis me plongeai dans la lecture du Saint Coran. Depuis mon arrivée à Dakar, il y a de cela trois semaines, chez ma tante, la sœur maternelle de ma mère, cet ensemble de rituels s'est transformé en une habitude immuable. En dehors de mes prières, mon passe-temps favori consiste à sombrer dans un sommeil profond. Je m'enferme dans une apathie qui semble étouffer toute ambition en moi. Ne me demandez point pourquoi j'ai adopté cette attitude léthargique, car je suis bien incapable de vous fournir une réponse claire. Peut-être ai-je perdu tout appétit pour la vie, je ne saurais le dire avec certitude.

Pourtant, notre religion nous enjoint de toujours nourrir l'espoir. Étendu sur mon lit, je me laisse aller à une rétrospection de ces derniers événements qui ont bouleversé ma vie. Tout est survenu avec une telle célérité que je n'ai pu en anticiper les conséquences. Soudainement, mon oncle pénètre dans ma chambre avec une certaine prudence, comme s'il craignait de troubler la quiétude ambiante.

Lui : Bonjour, mon neveu.

Moi : Bonjour, tonton.

Lui : As-tu passé une bonne nuit ?

Moi : Oui, ça va.

Lui : Il est temps de sortir, plutôt que de rester confiné dans ta chambre comme si on t'avait mis en quarantaine. (Il rit.)

Moi : Tu as raison, tonton. Après cela, je prévois de me rendre en ville. J'ai un ancien camarade de classe avec qui j'étais au collège. Il travaille comme gardien chez un certain Malik Bâ. Il m'a dit qu'il pourrait m'aider à trouver un emploi convenable.

Lui : Très bien, mais avant tout, viens prendre ton petit déjeuner. Ensuite, je te prêterai ma vieille moto.

Moi : D'accord, allons-y.

Après avoir pris le petit déjeuner, je me rends chez les Bawénes. Tout le monde connaît la réputation prestigieuse des Toucouleurs, qui font partie des familles les plus nobles d'Afrique. Cependant, cette fois-ci, je n'éprouve aucune nervosité à l'idée de rencontrer cet homme, car je n'ai plus rien à perdre. Une fois arrivé à destination, je retrouve mon ami Abdou, qui me présente à son employeur en disant : "Malik, voici le jeune homme dont je t'ai parlé. Il s'appelle Ousmane."

Dans mon esprit, je m'étonne : "Waouh, il tutoie son patron. Il doit exister une certaine familiarité entre eux."

Après une attente de cinq minutes, Monsieur Bâ me reçoit enfin dans son bureau. C'est un vaste espace climatisé, tout de blanc vêtu, avec des meubles en bois sombre et élégants, semblant provenir d'Europe, chaque pièce finement travaillée et polie. Une douce lumière filtrée par des rideaux blancs apporte une atmosphère apaisante. Les murs sont ornés de ses diplômes encadrés, de photographies de cérémonies et de distinctions variées, accrochés avec soin et précision.

Derrière son large bureau en acajou, un grand tableau affiche en lettres dorées et arabes « Allahou Akbar », ce qui signifie « Dieu est grand ». Une bibliothèque garnie de livres reliés en cuir occupe un coin de la pièce, et un globe terrestre ancien trône sur une petite table d'appoint. Une légère odeur de cuir neuf et de parfum boisé flotte dans l'air, ajoutant une touche de sophistication à l'ensemble. Monsieur Bâ, assis avec une posture détendue mais imposante, m'invite d'un geste de la main à prendre place sur un fauteuil en cuir devant lui, puis me propose à boire. J'ai décliné l'offre, même si j'avais un peu soif, ne voulant pas abuser.

Il ajoute alors :

- Abdou ne tarit pas d'éloges sur vous.

À cela, j'ai répondu : "C'est un bon ami, du lycée."

Il enchaîne alors : "Connaissant Abdou et son côté réservé, il ne se lie pas d'amitié avec n'importe qui."

Ainsi, inclinant légèrement la tête en signe d'approbation, je laissai échapper un sourire furtif, teinté d'une timidité subtile et délicate.

Il me pose une multitude de questions concernant mes origines, mon parcours scolaire, mon expérience professionnelle passée, ma situation financière et bien d'autres sujets encore. Je réponds avec la plus grande honnêteté possible. Je lui raconte même les détails de mon licenciement de mon précédent emploi. Il me fait clairement comprendre qu'il ne prête aucune importance à ces histoires de caste, en me disant : "Nous sommes tous des êtres humains." Il va même jusqu'à me confier que sa propre épouse est issue d'une famille de forgerons.

" Il va même jusqu'à me confier que sa propre épouse est issue d'une famille de forgerons

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Le voilà un grand homme Malick Bâ

Lui : "Tu débuteras la semaine prochaine en me remettant une somme de 250 000 francs CFA afin que j'acquière le matériel nécessaire."

Moi : Perplexe quant à la nature du matériel requis, j'ai osé demander : "Pourriez-vous préciser quels équipements sont nécessaires ? Je ne suis pas familiarisé avec les exigences de mon travail."

Lui : Avec assurance, il m'a répondu : "Il te faut un ordinateur des cahiers, des livres etc. N'as-tu pas exprimé ton désir d'étudier le droit ? Le directeur de l'université Cheick Anta Diop de Dakar est un ami de confiance. Je lui ferai part de ta demande, et si le destin le permet, tu pourras commencer dès la semaine prochaine. En outre, comme tu n'as pas de bourse, je t'enverrai 50 000 FCFA chaque mois pour t'aider financièrement."

Je l'ai fixé, bouche bée, incapable de prononcer un mot.

Lui : "Tu ne réponds pas."

Moi : Confus, j'ai répondu humblement : "Je vous prie de m'excuser, mais je suis sans voix, je ne sais que dire."

Lui : Alors, prononce simplement le mot "oui".

En cet instant, mon esprit était embrumé par ses paroles.

Le Saint Coran nous enseigne la patience. Si Dieu vous prive de quelque chose, c'est qu'Il vous réserve autre chose.

J'ai utilisé une partie de l'argent pour  rembourser mes dettes envers mes anciens collègues, tandis le reste a été consacrée à l'achat de mes fournitures.

Un Amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant