Chapitre 18

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Aicha

La veille de mon retour de voyage, mon père m'envoya une lettre pour m'informer de la gravité de la maladie de ma mère, hospitalisée depuis quelques jours en attente d'un donneur de sang, son groupe sanguin étant des plus rares. Ousmane me trouva assis, silencieux, mon visage trahissant ma stupeur. J'avais du mal à dissimuler mon émotion. Il me demanda, inquiet : "Qu'as-tu, mon amour ? Explique-moi." Les larmes commencèrent à couler sur mes joues. Il répliqua doucement : "Calme-toi, chérie, et raconte-moi tout."

Je lui expliquai alors la situation désespérée : ma mère, en état critique à l'hôpital, avait besoin d'un donneur de sang sous peine de ne survivre que quelques jours. À ma grande surprise, Ousmane m'annonça qu'il avait le même groupe sanguin. "Prépare-toi, nous partons dans une demi-heure," ajouta-t-il avec détermination. Inquiète pour nos bagages, je lui fis remarquer. Il me répondit : "J'enverrai quelqu'un les récupérer plus tard. Ce qui compte maintenant est bien plus urgent."

Je mentionnai les billets réservés pour le lendemain à 23h45. "Cela n'a aucune importance, Aïcha. Ta mère est dans un état critique, nous n'avons pas une minute à perdre," répliqua-t-il avec fermeté.

Dans mon esprit, je ressassais tous les torts qu'elle avait causés à Ousmane et à notre famille. Ma mère, cette femme dont l'égoïsme était la caractéristique la plus marquée, s'était laissée envahir par ce vice abominable sans la moindre résistance.

L'égoïsme, communément qualifié de "défaut", constitue un trouble dans la conduite humaine. On l'associe généralement à un amour démesuré de soi-même, un amour si égoïste qu'il ne laisse aucune place à autrui. Pourtant, peut-on réellement affirmer que la personne égoïste s'aime trop ?

Selon Edgar Poe, pour l'égoïste, "Le grand malheur est de ne pouvoir être seul". L'égoïste est essentiellement préoccupé par lui-même ; ses choix, ses activités, ses relations convergent tous vers un même but : tout ramener à lui, s'approprier ce qui lui semble plaisant. Il ne tient aucun compte du monde qui l'entoure, ni des intérêts extérieurs, et se soucie peu des autres, organisant sa vie de manière à ne pas être dérangé. Lorsqu'il entre en relation avec autrui, c'est uniquement dans l'espoir d'en tirer quelque avantage : prestige, bénéfices, plaisir...

L'égoïste vit dans un monde clos, comme confiné, incapable de voir ou d'entendre ce qui ne le concerne pas personnellement. Pour lui, le monde se résume à sa personne, ignorant le reste de l'univers.

Il est rarement satisfait de sa vie et souvent solitaire (l'égoïsme et le "célibat endurci" font bon ménage), que ce soit par choix ou par contrainte. Il a tendance à épuiser son entourage, c'est le moins que l'on puisse dire !

Cependant, il arrive parfois qu'il rencontre un "alter ego", quelqu'un qui lui ressemble, avec qui il formera un couple replié sur lui-même : ils rassembleront leurs intérêts communs afin de se protéger du monde extérieur, vivant ainsi un "égoïsme à deux". Rien de véritablement nouveau, si ce n'est qu'ils sont désormais deux prisonniers dans la même "cellule".

Le reproche le plus fréquemment adressé aux personnes égoïstes est celui de s'aimer trop pour pouvoir aimer les autres. Cependant, avant de conclure qu'elles s'aiment excessivement, il convient de se demander si elles s'aiment véritablement. Et dans le cas contraire, pourquoi n'ont-elles alors que leur propre personne en tête ?

Les racines de l'égoïsme et de l'amour de soi se trouvent dans les premiers stades de l'évolution humaine. L'être humain est initialement tourné exclusivement vers ses propres besoins : être nourri, soigné, consolé, stimulé et ce sont là les conditions de sa survie. L'enfant, une fois parvenu à un certain degré d'autonomie, commence à s'ouvrir progressivement à un monde plus vaste, passant de l'intimité maternelle à la sphère familiale, puis à l'environnement de la crèche, et ainsi de suite. Cependant, pour que cette expansion vers autrui se réalise harmonieusement, il est primordial que l'enfant ait reçu une dose suffisante d'amour, lui permettant de croire en lui-même, de s'aimer. C'est à partir de là qu'il peut commencer à exprimer son amour en retour. Si, malheureusement, cet amour initial fait défaut, l'enfant peut demeurer coincé à un stade où le monde tout entier semblait graviter autour de sa personne. Ainsi, je m'aventure à croire que l'égoïsme de ma mère puise ses origines dans son éducation précoce. Mais pourquoi ne suis-je pas devenu semblable à elle ? Il est vrai que j'ai été un enfant excessivement choyé, ayant tendance à obtenir tout ce que je désirais d'un simple claquement de doigts, gâchant sans réfléchir. Cependant, grâce à la bienveillance d'Ousmane Thiam, j'ai appris le véritable sens de la vie, celui de l'honnêteté et de l'hospitalité. Il m'a enseigné à aimer sans aucune arrière-pensée, à aimer simplement, sans rien attendre en retour.

Un Amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant