FICTION TERMINÉE ♒︎
1993. Louis a seize ans, un corps d'adolescent dont il ne sait pas quoi faire, des désirs en pagaille au fond du ventre, des rêves qu'il pense impossible à réaliser. C'est l'été, un été comme tous les autres, lent et brûlé de so...
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Everybody told me love was blind Then I saw your face and you blew my mind Finally, you and me are the lucky ones this time.
- Lana del Rey, Lucky Ones
Longtemps, lorsqu'il s'endormait le soir après l'été 1993, Harry serrait le médaillon pendant autour de son cou pour s'empêcher de pleurer. Le rond de métal rentrait dans sa paume et lui faisait mal. Il pensait à la façon dont Louis avait de prendre le bijou entre ses dents lorsqu'ils faisaient l'amour, yeux fiévreux, dégoulinants de désir. Le souvenir faisait remonter les sanglots dans sa gorge. Il fermait les paupières. Sa bouche semblait remplie de salive, prête à l'étouffer. Louis était partout, jusque dans l'encre grise de ses cauchemars, toujours plus nombreux.
Puis, Louis avait disparu. Lentement. Il avait disparu avec tout le reste, tout ce qui lui avait fait du mal, tout ce dont il ne voulait plus jamais jamais se souvenir. Les yeux de Louis. Le sourire de Louis. Les mains de Louis. La douceur des cheveux de Louis. Les genoux de Louis. Le goût de sa bouche et de sa peau. Harry avait tout repoussé dans le fond de sa mémoire. Il n'avait plus voulu penser.
C'était assis sur le canapé, le bras d'Elio autour de son cou, confortablement installé contre son épaule, qu'il avait entendu la phrase. Ils regardaient un film, seuls dans la salle télé. Les ombres formaient sur les murs nus des arabesques torturées, et Harry avait dû mal à se concentrer sur l'intrigue. Il avait mal au coeur, un peu, comme toujours à cette époque. Les doigts d'Elio frôlaient son épaule et il se demandait ce qu'il se passerait s'il l'embrassait maintenant. Si dans son estomac exploseraient les mêmes étoiles que les lèvres de Louis avaient fait naître. Et puis, soudain, en noir et blanc, cigarette au coin de la bouche, le héros du film avait murmuré, la voix un peu rauque : « On devrait pouvoir se tuer idéalement. Dans nos têtes. Et puis renaître après, pouvoir parler, se regarder, être ensemble comme si on ne s'était jamais rencontrés. » Harry s'était raidi. Il ne se souvenait pas de la suite du film. Il n'avait plus pensé qu'à ça, qu'à ces quelques phrases, ces mots coupants qui résonnaient en lui et ouvraient une plaie béante le long de son coeur.
La phrase avait flotté pendant des jours dans son esprit. Il ne l'avait entendu qu'une fois mais il la connaissait par coeur. On devrait pouvoir se tuer idéalement... Dans nos têtes... Et puis renaître... Harry ne savait pas encore s'il voulait renaître. Mais se tuer, oui. Dans sa tête. Sans personne pour hurler en retrouvant son corps. Sans personne pour faire de vagues autour de lui. Seul. Sans que personne ne s'en rende compte. Il aimait l'idée. Il aimait penser aux gens le frôlant, lui parlant, lui souriant, sans jamais savoir qu'à l'intérieur de lui, tout était détruit. Il aimait imaginer son corps comme une enveloppe vide, remplie de vent et de quelques larmes amères, ayant laissé la trace blanche de leur sel le long de ses os.