Chapitre 8 : Une nouvelle alliance

47 5 0
                                    

  Les deux capitaines se jaugèrent un instant du regard. Jessie comprit que Joe acceptait lorsque celui-ci se laissa lourdement tomber sur le fauteuil au centre de la pièce, sur lequel elle était elle-même assise plus tôt dans la journée et commença à la fixer. Celle-ci poussa un soupir, s'appuya contre le mur et commença:

« Très bien. Je suis née en 1645. Je viens d'une famille de sept enfants. Tous des filles. Mes parents en ont eu assez et se sont dit que le dernier serait un garçon. Perdu, c'était moi. Mais obstinés, ils m'ont appelée James et m'ont fait passer pour un homme. A quinze ans je suis partie. Pour leur faire payer tout ce qu'ils m'ont fait endurer j'ai cramé leur maison et la grange. J'ignore ce qu'il leur est arrivé après. Je suis montée jusqu'à Londres où j'ai réussi à me faire un peu d'argent pour prendre un bateau et aller vers le Nouveau Monde : je voulais refaire ma vie à zéro et partir là-bas semblait être la meilleure solution. Manque de pot, il s'est fait attaquer par la flotte de Charles Owen. J’ai… je l’ai convaincu de me prendre à bord et peu à peu, j'ai réussi à m'intégrer. Sauf qu'un jour, il a découvert que j'étais une femme. Au lieu de m'abandonner, il m'a épousée. J'ai bien vu que l'équipage ne voulait pas de moi alors j'ai redoublé d'efforts et pour leur faire comprendre que j'avais autant ma place à bord qu'eux. J’avais été engagée avec mon nom de naissance : James. Je l’ai gardé comme nom de famille et ai  pris de prénom de Jessie. Et petit à petit j'ai été acceptée et je suis vraiment devenue l'une des leurs quand Owen est mort d’une infection causée par une mauvaise blessure. Au début, seul mon équipage savait ce que j'étais. Mais un jour j'en ai eu marre de me cacher : je ne voulais plus dissimuler mon identité c'est à ce moment que je me suis révélée telle que j'étais vraiment. C’est à ce moment, après la mort de celui qui avait succédé à Owen que je suis devenue capitaine. Mon surnom, je l'ai gagné après un abordage. Mon second, le meilleur pirate que j'ai jamais connu : fort, loyal, franc... », la jeune femme s'interrompit un instant, perdue dans ses souvenirs, « Pour rire, il disait que j'étais comme une rose, une chose délicate et fragile mais cachant des épines douloureuses... son surnom est resté, même après que lui, soit parti. »

Joe fixait la jeune femme qui avait de nouveau arrêté de parler. Il remarqua que sa voix s'était adoucie au fil de son récit. Il posa la bouteille récupérée plus tôt et fixa la pirate et remarqua que ses yeux noirs étaient redevenus aussi froids que la pierre. Sous son regard insistant, il ne dit rien, s'installa plus confortablement et raconta à son tour comment de petit garçon innocent, il était devenu pirate puis capitaine. Il fut surpris de ne voir aucune moquerie dans le regard sombre de sa nouvelle alliée.

Il sourit en voyant que Jessie avait libéré du chapeau sa crinière rendue terne par l'obscurité et s'était assise sur la table. Il remarqua cependant que ses armes n'avaient quitté le fourreau attaché à sa ceinture.

Elle tendit soudainement le doigt vers le torse du pirate et demanda, en faisant allusion à une marque blanche : « Quelques difficultés en combat ? »

Joe baissa les yeux vers ladite cicatrice et sans un mot, déboutonna sa chemise, révélant un vieux médaillon doré sous lequel s’étalait une longue estafilade blanchâtre allant de sa clavicule au milieu de l'abdomen.

« Un mauvais coup lors d'un combat. Après ça, s'amusa Joe, William ne m'a plus laissé aborder les navires. »

Jessie sourit et la discussion dura jusqu'au milieu de la nuit.

*

Le lendemain, Joe se réveilla avant les premières lueurs du jour. Il passa rapidement entre les hommes de son équipage et vérifia que tous allaient bien. Après avoir fini sa ronde, il s'assit sur le sable et attendit que la Rose des mers et son équipage soient prêts. Moins d'une heure plus tard, tous étaient parés au départ et chargés d'une partie du trésor.

Le chemin fut laborieux, mais l'homme qui semblait seconder Jessie connaissait visiblement bien l'île et les conduisit directement où Joe avait débarqué. Lorsque le soleil fut à son zénith, ils arrivèrent dans la crique. La vingtaine d'hommes chargés de protéger les canots déboula, prête à en découdre mais leur capitaine les arrêta avant que le premier coup ne soit porté. Ce dernier, après avoir expliqué la situation, compta rapidement les siens quand il fut assuré que tous étaient là, un premier groupe monta dans les barques devant  les ramener vers leur équipage


Pour ceux qui s'y connaissent un peu en pirates, l'histoire de Jessie est inspirée de celle d'Anne Bonny, célèbre pour avoir navigué avec Mary Read et Jack Rackham. Née Anne Cormac, elle est la fille illégitime d'un procureur Irlandais. Quand son illégitimité est rendue publique, William Cormac quitte l'Irlande avec sa fille pour s'installer en Caroline du Sud (à Charleston). Les avis divergent, mais d'après plusieurs sites, c'est à ce moment que son père commence à l'habiller avec des vêtements masculins. Mais vers ses dix-huit ans, Anne Cormac rencontre un pirate dans une taverne, James Bonny, qu'elle épouse. Elle est alors déshéritée par son père et pour se venger, Anne aurait mis le feu aux plantations de son père avant de s'enfuir vers les Bahamas. Elle parvient peu à peu à s'imposer. Quand son époux décide de devenir l'informateur d'un gouverneur et à dénoncer les marins contrebandiers et pirates, elle décide de ne plus vivre avec et va s'installer chez un pirate et sa maîtresse. Elle devient ensuite, après avoir été conseillée, la maîtresse de l'homme le plus riche de l'île qui assure en échange sa protection. Elle fait ensuite la connaissance d'un pirate, Pierre Bousquet, avec qui elle décide de voler un navire de marchandises. Pour se faire ils remettent en état une épave et s'en servent pour tendre un piège. Plus tard, le gouverneur Rogers promet de gracier les pirates qui se rendent mais Anne Bonny refuse, craignant d'être condamnée pour l'incendie de la plantation de son père. Elle rejoint alors, toujours avec Pierre Bousquet, l'équipage de Jack Rackham (aussi connu sous le pseudo de Calico Jack) qui a lui aussi refusé de se rendre. Les femmes étant interdites à bord, elle cache le fait d'en être une et se fait appeler Adam Bonny. La rumeur raconte que lorsqu'un pirate découvrait qu'elle était une femme, elle le tuait. Elle aurait même jeté Rackham, son capitaine, hors de ses quartiers pour y résider seule. Une légende raconte également que Jack Rackham et Anne Bonny étaient amants et ont eu un enfant qu'ils auraient abandonné. Voulant l'épouser, Rackham aurait proposé à James Bonny d'acheter  Anne. Celui-ci aurait refusé et averti le gouverneur Rogers qui la condamne à être fouettée et à rester avec son époux. Anne et Jack se seraient alors enfuient avec leur équipage.

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant