Chapitre 1 : Abordage

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Couverture par @JuStGaMmA

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—Encore en train d’trainer ? Active-toi ou j'te passe par d'ssus bord.
—Des menaces et encore des menaces, tu vieillis Will, tu radotes.
—Mais j'vais l'égorger c't'enfant de malheur. Je suis ton capitaine.

Malgré les menaces et le ton bourru, les yeux du vieux capitaine débordaient de malice. Ce gamin était insupportable, provocateur, insolent et blagueur mais il avait réussi à adoucir le cœur du géant de pierre. Le jeune pirate, jusqu'alors assis sur la proue à profiter du vent faisant danser ses mèches blondes se leva finalement et rejoignit les quelques dizaines de forbans tentant de lever une voile tandis que le capitaine retourna dans sa cabine.

—Navire Espagnol à tribord !

Aussitôt, le capitaine quitta son compas et ses cartes et rejoignit le pont où les marins attendaient ses ordres. Il saisit une longue vue et observa avec attention les cinq navires espagnols.

Les paris sur le trésor fusaient déjà : argent des impôts, pierres précieuses orientales, bijoux royaux, esclaves ramenés du Nouveau Monde... chacun y allait de son commentaire et l'excitation, à l'instar des murmures, monta crescendo.

—Hissez la grande voile, à tribord toute. Préparez les sabords. On l'encercle.

Plus aucun homme ne traîna, tous courraient quelque part, portaient quelque chose ou faisait passer des messages d'un bateau à l'autre.

En moins d'une heure, aidée par le vent, la flotte du capitaine William O'connor prit les navires espagnols en tenaille. Encerclés, ces derniers tentaient de s'échapper du joug de la piraterie.

Le Jolly Roger flottait désormais au vent. En voyant le crâne blanc surmonté d'une couronne dorée et une larme sanguine coulant sur sa pommette droite, les Espagnols surent qu'ils étaient perdus. Le terrible capitaine O'connor était connu pour ne laisser derrière lui que la désolation et la mort.

Un boulet de canon fusa et manqua de peu sa cible. Les marins Européens répliquèrent aussitôt ; la victoire reviendrait au premier touchant son adversaire. Un véritable ballet mortuaire commença.

William beuglait des ordres, allant de part et d'autre du Carmélide, le navire amiral. Soudain, un craquement se fit entendre. Un des bateaux des bandits avait réussi à abattre le mat.

—J'veux quinze hommes qui restent sur chaque navire. Joe, tu restes aussi.

Le gamin tenta de protester mais c'était peine perdue. Il resterait à bord et serait contraint d'observer l'abordage de loin.

Le temps luis sembla ralentir. Appréhension ou excitation, le cœur de Joe s'emballait dès qu'un cri se faisait entendre, dès que le crissement de deux épées lui parvenait ou encore lorsqu'un coup de feu était tiré. Il leva les yeux vers le soleil, il eut alors l'impression que ce dernier reculait, se jouant de lui.

Un puissant cri le fit sursauter. William. Joe se précipita vers le bastingage et se pencha pour tenter d'apercevoir quelque chose.

—T'inquiète p'tiot, y va rev'nir l'cap'tain. C't'un dur à cuire.

L'homme marchait tranquillement vers lui, l'air détendu en chiquant du tabac. Il continua :

—C'normal eq'tu t'inquiète. T'es jeune, t'as pas vu beaucoup d'abordages comme ça.  
—C'est pas que j'm'inquiète. C'est juste que c'est l'capitaine.
—R'garde il est là, dit l'homme en tendant un doigt sale vers l'un des bateaux en train de couler, et ça a même pas l'air d'être son sang.

Le capitaine était en effet couvert d'un liquide pourpre et poisseux, un air furieux déformant ses traits maculés d'hémoglobine le rendant encore plus effrayant qu'il ne l'était déjà. Ses cheveux noirs, aplatis sous son chapeau étaient ébouriffés et son visage couvert de poussière et de saleté qui faisaient ressortir un regard froid et cruel.

Il sauta lourdement sur le pont de son bateau, bientôt suivi par la plupart de ses hommes.

—Alors, demanda le chiqueur.
—Rien. Ces salopards ont jeté tout par-dessus bord quand ils ont vu qu'ils allaient pas en réchapper.
—On a perdu des hommes ?
—Trois.

La réaction d’O'connor qui semblait bien plus affecté par la perte de son trésor que par celle de ses propres hommes fit tiquer Joe. Il avait beau apprécier le pirate, son indifférence lui soulevait parfois le cœur, au grand damne du concerné qui se désolait du gamin sensible.

—On répare et on prend leur navire amiral. Fouillez chaque bateau et coulez-les après avoir pris ce qui peut être utile. Hamilton, l'un des pirates lui aussi couvert de sang releva la tête en entendant son nom, tu te chargeras du commandement.

Sitôt qu'il eut terminé sa phrase, William retourna à ses cartes. Un jeune mousse lui apporta une bassine d'eau dont il se servit pour se débarbouiller grossièrement. Le jeune pirate en profita pour se glisser dans le groupe chargé de fouiller les futures épaves. Peu de choses de valeur étaient encore à bord : une bourse de pièces cachée, une émeraude tombée dans un coin, une montre oubliée...

Il remonta sur le pont après avoir fouillé une cale et regarda son capitaine, toujours penché sur ses cartes qu'il ne lâchait pas depuis des semaines. Mesurant, calculant, analysant et réfléchissant tout en laissant parfois échapper un grognement de rage. Le jeune pirate avisa alors « Le Léviathan ». Il était le second du capitaine O'connor, autrefois capitaine de sa propre flotte, il s'était un jour rallié au pirate irlandais lors d'une attaque contre une flotte espagnole de plus, ramenant l'or du Nouveau vers l’Ancien Continent. Malheureusement Le Léviathan avait été blessé lors de cet abordage. Il y avait laissé une jambe qui l'avait rendu boiteux. Alors, afin de prévenir toute mutinerie, le capitaine déchu avait laissé le commandement de ses propres navires à O'connor à la seule condition qu'il devienne son second. Son surnom était resté, bien qu'on ne sache plus d'où il venait. De ce fait, sa véritable identité avait été oubliée et seul restait le surnom de ce capitaine redouté dans toutes les mers.

Joe s'était, depuis que le sombre bandit des mers les avait rejoints, promis de demander au Léviathan d'où venait son surnom. Mais bien qu'étant le protégé de William, les mots venaient toujours mourir avant d'avoir pu franchir ses lèvres.

—Dis Léviathan, tu sais c'qu’il fait, l’capitaine ?

Le Léviathan dirigea lentement son regard vers le jeune Joe puis vers le capitaine. En sentant ces prunelles vides d'émotions se poser sur lui, Joe retint un frisson. Il avait toujours trouvé ce pirate terrifiant. Outre son surnom, il y avait son regard. Un œil aussi sombre que son âme et le deuxième blanc, vide. Un œil que la vie avait quitté.

—Il cherche un trésor.
—Un trésor ?
—Le trésor des pirates, qu'on l'appelle. Mais aucun vivant n'sait où il est. Personne n'est revenu pour nous l'dire. C'est un trésor maudit.
—Alors pourquoi l'capt'ain le veut s'il est maudit ?
—Parce qu'on dit que c'est la meilleure des choses au monde qui s'trouve là-bas. Il parait que tous les rêves deviennent réalité.

Pensif, Joe s'avança vers la poupe du bateau. Il se pencha à moitié par-dessus bord et observa les poissons qui remontaient à la surface quelques secondes et re-disparaissaient ensuite vers les profondeurs de la mer.

Le trésor maudit ne quitterait plus ses pensées, il en était persuadé. Et lui, que trouverai-t-il ? Quelle était le chose qu'il désirait le plus ?

Premier chapitre de l'histoire de Joe. Qu'en avez vous pensé?
Les dialogues pourront parfois être écrits en « pirate » c'est à dire phonétiquement. Ils ne seront pas fréquents mais pas inexistants non plus pour la simple et bonne raison que j'imagine mal des pirates parler avec un langage soutenu du XVIIème siècle.
Bonne journée/soirée.

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant