Chapitre 12 : Le passé de Mike

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Dessins pris sur Pinterest, artiste inconnu.


Près de deux mois s'étaient écoulés quand enfin Jessie, appuyée contre la proue, pu distinguer le contour flou des côtes à l'horizon. Elle se précipita alors dans la cabine principale, un grand sourire sur les lèvres. Elle descendit précipitamment les marches, faisant claquer les semelles usées de ses chaussures contre le bois sec.

—Bonjour, capitaine.
—Jessie, que me vaut cette joie, la railla Joe avec un sourire mutin.
—Je n'ai pas le droit de saluer le capitaine de cet équipage?
—Crache le morceau, soupira Joe en s'appuyant contre la table en chêne, un faux air ennuyé sur le visage.
—Mon cher capitaine, dit-elle en lui attrapant soudainement le bras et en l'entraînant vers le pont, je te présente, elle s'interrompit une fois en haut et annonça finalement avec des gestes exagérés, le Cap de Bonne Espérance!
—Je comprends mieux pourquoi tu es de si bonne humeur, ricana le jeune homme.

Ils s'avancèrent côte à côte jusqu’au gaillard avant et regardèrent la côte approcher de plus en plus, sous les directives de Mike.

—Tu penses qu'on est assez bien placés, demanda soudainement Joe à Jessie.

Celle-ci mit un peu de temps à répondre, surprise que l'autre capitaine lui demande son avis mais finit par déclarer qu'étant dans le passage, ils étaient idéalement situés.

Joe ordonna de baisser les voiles et de jeter l'ancre. Ils n'avaient plus qu'à attendre la flotte qui aurait le malheur de tomber entre les épines de la Rose des Mers.
L'attente commença alors réellement et avec elle, une impatience mêlée à de l'appréhension commença à étreindre le cœur des pirates.

Quelques jours après être arrivés, Joe rassembla son équipage, craignant une mutinerie, et leur expliqua qu'ils n'avaient pas uniquement amené Jessie et son équipage au Cap, les deux équipages réunis allaient attaquer la prochaine flotte qui passait et si Jessie allait récupérer tous les bateaux, eux auraient la totalité des richesses transportées à partager ainsi que celles du Trésor récupéré quelques semaines auparavant. Sentant la tension se radoucir, Joe alla auprès de Mike, penché sur une feuille de papier.

—Qu'est-ce-que tu fais, demanda Joe en débarquant dans la cabine ce qui fit sursauter le marin.
—Rien, répondit-il précipitamment.
—C'est quoi ?
—Rien, répéta-t-il en essayant de glisser la feuille dans sa poche, mais Joe fut plus rapide et réussit à la récupérer.

Il regarda la feuille froissée sous le regard foudroyant de son second. Joe ne put s'empêcher d'ouvrir la bouche de surprise en voyant deux dessins gribouillés. L'un représentait une magnifique femme aux traits fins mais fatigués. Son regard profond semblait sonder Joe à travers le papier. Ses yeux glissèrent ensuite vers la frimousse juste en dessous ou un jeune enfant aux cheveux mi-long regardait Joe avec un air larmoyant, caché derrière un chapeau trop grand glissant et masquant une partie de son visage.

—C'est...
—Ma femme. Et mon fils.

Joe ne sut que répondre et incita d'un hochement de tête son second, mais aussi ami, à parler.

« Elle s'appelle Zaïre... Je l'aime de tout mon cœur. C'est une ancienne esclave... Celle de mon père. Elle a été achetée avec sa mère quand j'étais gamin. Je me souviens l'avoir immédiatement trouvée magnifique, si différente des autres. J'allais souvent la voir en cachette. Puis nous avons grandi et, et elle a été vendue à quelqu'un d'autre. Mais il était hors de question que ma Zaïre me soit enlevée. J'ai essayé de dissuader mon père de la vendre mais il a explosé de rire et m'a giflé. J'ignore encore aujourd'hui laquelle de ces actions m'a fait le plus souffrir. Malgré tout j'étais décidé à sauver ma belle, alors j'ai volé l'argent de la vente et je suis sorti en pleine nuit par la fenêtre. Il fallait me voir, à quinze ans à peine à courir à travers les champs jusqu'à leur ridicule petite maison, les poches débordant de pièces. Après une éternité je suis arrivé. Je suis entré comme un diable dans leur cabane, j'ai juste dit qu'il fallait s'enfuir et vite. Zaïre m'a immédiatement soutenu mais les autres esclaves ont pensé que c'était une ruse de mon père pour tuer les fugitifs. Nous avons finalement réussi à en convaincre une dizaine mais à cette époque, mon père était plus malin que moi et avait posté des hommes armés avec l'ordre de tirer sur tout ce qui bougeait. Nous étions quatre à avoir survécu. John, un solide gaillard, Betty, une petite fille et Zaïre. Avec l'argent volé nous avons réussi à partir de Hornsea jusque la banlieue de Londres où nous nous sommes installés.  Là-bas, nous avons commencé notre nouvelle vie : nous avons réussi à bâtir une misérable maison mais c'était parfait pour nous. »

Mike marqua soudainement une pause et prit une profonde inspiration tout en se pinçant l'arête du nez. Joe ne le quitta pas des yeux, observa avec attention son ami qui semblait partagé entre la tristesse et les regrets et dont les prunelles semblaient aussi sombres que les souvenirs. Le capitaine ne dit rien, attendant la fin du récit avec impatience.

« Mais le rêve s'arrêta rapidement quand Betty tomba gravement malade. Trop affaiblie par sa vie d'avant, elle mourut devant nous, dans nos bras. Alors pour que ça n'arrive plus on a décidé de travailler. Zaïre a été embauchée comme servante, John a trouvé du travail sur un port et moi dans une auberge. Les salaires étaient maigres mais suffisants. Puis un jour j'ai appris qu'un pirate était arrivé en ville. Je suis allé le voir et c'est comme ça qu'à dix-neuf ans j'ai rejoint l'équipage du capitaine William O'connor. J'ai d'abord été mousse. J'en ai fait des tâches ingrates, comme m'occuper d'un gamin rebelle d’une quinzaine d’années qui ne voulait rien faire de ce qu'on lui disait.»

Joe ne put retenir au léger sourire. Quand William l'avait enlevé, il avait été confié à plusieurs pirates dont Mike à son arrivée. Bien jeune, le futur capitaine en avait fait voir de toutes les couleurs à la nouvelle recrue.

« Au bout d'un an j'ai enfin pu retrouver Zaïre, seule. John était mort dans un accident au port et un gamin était né. Sa mère est morte en couche et John, son père, l'avait ramené à la maison. Mais il ne restait plus que Zaïre et moi alors on s'est fait la promesse que le fils de notre ami serait élevé comme le nôtre. Bien-sûr je le vois rarement, à peine quelques semaines par an mais je l'aime comme mon fils, comme j'aime Zaïre et si je trouve la motivation de me lever chaque matin, le courage de me battre à chaque abordage, l'envie de continuer cette vie de misère c'est pour eux, pour leur apporter de quoi vivre. »

Joe resta silencieux. Une multitude d'émotions s'étaient succédées pendant le récit de celui qui était devenu son ami et la douleur de Mike le frappa soudainement de plein fouet. Il lui rendit alors la feuille, qu'il avait gardé sans même s'en apercevoir, et tapa amicalement l'épaule de Mike.

—Je te promets que très bientôt tu reverras ta famille, tu reviendras avec le plus beau trésor que t'aies jamais rapporté et tu profiteras d'eux aussi longtemps que possible.

Son second lui sourit, un mélange de gratitude et d'espoir vain.


Bonjour,
Petit point vocabulaire aujourd'hui:

Le gaillard est une partie légèrement surélevée par rapport au pont. Il y en a généralement deux: un à l'avant et l'autre à l'arrière.

Les Pays-Bas Espagnols sont une région du Saint Empire Romain Germanique qui est attachée à la couronne d'Espagne de 1556 (lorsque l'empereur Charles Quint les lègue à son fils Felipe II) à 1714 (lorsque les provinces obtiennent leur indépendance). La région inclus les actuels Pays-Bas, Belgique et Luxembourg ainsi qu'une partie de l'Allemagne.

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant