Chapitre 5 : Cap à l'Ouest

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Le jeune capitaine tapotait nerveusement le bois du bateau. Chaque jour qui passait, il se demandait s'il n'avait pas eu tort de vouloir poursuivre la quête de William. Ce dernier lui avait dit de continuer vers l'Ouest, mais avait-il eu raison? Peut-être que la tempête, la disparition du capitaine et le départ de Léviathan était des signes. Joe laissa échapper un soupir et regarda une énième fois son compas, anxieux a l'idée de dévier de son objectif.

De plus, un autre problème venait s'ajouter : la baisse considérable des vivres : malgré les séances de pêche organisées à chaque halte, la nourriture viendrait bientôt à manquer. Quant à l'eau, sa baisse inquiétait ce capitaine qui ne pouvait pas la renouveler aussi aisément.

— Capitaine, hurla soudainement la vigie, du brouillard droit devant.

Avec assurance, l'interpellé avança alors jusqu'à l'avant. Il posa la main sur l'étrange lézard qui faisait office de figure de proue et observa la brume.

Puisque le Carmélide, navire amiral de William O’Connor avait sombré, Joe l’avait remplacé par un galion espagnol acquit quelques années auparavant lors d’un abordage et renommé La Discorde.

—Abaissez la grand-voile, on s'arrête là pour aujourd'hui. Nettoyez le pont, pêchez et reposez-vous. On approche.

Alors qu'il allait repartir, un pirate, Mike Hamilton l'interrompit. Plus vieux d'à peine quelques années, il avait été choisi par le nouveau capitaine pour être son second. Il avait donc accepté et ainsi, Joe Turner était bel et bien devenu le capitaine.

—Comment tu l’sais ?

Joe guetta un instant l'horizon avant de répondre :

—C'est dans les tripes.

Mike laissa échapper un petit rire. Ce capitaine était aussi sûr de lui et aussi déterminé voire têtu, fort et fier qu'avait pu l'être son prédécesseur.
Quand il voulut reprendre la parole, il vit que Joe n'était plus là. Il marchait sur le pont, sûr de lui, droit et fier, le chapeau de William posé sur sa tête et ses armes cliquetant à sa ceinture, arme à feu à droite, lame à gauche et probablement d'autres, cachées.
Le second se reprit et retrouvant son rôle, lança quelques ordres aux traînards.

De son côté, Joe retourna dans sa cabine. Las, il posa le chapeau sur la table branlante et s'affala sur une chaise. Il resta un moment assis, la tête posée contre ses mains à se poser toutes sortes de questions et à se lamenter de son nouveau rôle sur la flotte pirate, lui, gamin frêle et chétif adopté par un sanguinaire pirate. Mais s'il se voyait avec les yeux d'un autre, il pourrait comprendre que cet enfant n'était plus qu'un fantôme du passé et seuls demeuraient les yeux topaze et les mèches blondes retenues par un bandeau sale.

Il passa la nuit, sans vraiment dormir, sans vraiment être éveillé. Voyageant entre deux mondes. Des coups sur la porte finirent par le ramener vers le monde conscient, où cruauté, famine, guerre et tant d'autres choses étaient le quotidien des gens comme lui : les forbans, les rejetés, les proscrits, les bannis...

—La brume n'a pas bougé, cap'tain. Elle est toujours au même endroit qu'hier, lui annonça Mike.
—Pas bougé ? J'arrive.

Le second hocha la tête et sortit, bientôt suivi par Joe qui n'avait pas pris le temps de remettre son chapeau et sa veste.

—C'est le trésor des pirates, c'est la preuve, dit une voix.
—Le trésor maudit, tu veux dire. Sinon cette brume serait pas là, répondit une deuxième.
—Moi j'vous l’dis : c't'un monstre qui l'protège et on s'jette tout droit dans sa gueule, ajouta une troisième voix.

Le premier homme allait ajouter quelque chose mais il se tut en voyant le regard sombre de son capitaine.
Ce dernier s'accouda quelques secondes et déclara après un silence : « On approche doucement avec La Discorde. Que les autres restent ici. On y va doucement, avec une seule voile. »

C'est ainsi que La Discorde, navire amiral de Joe Turner s'enfonça dans la brume à la recherche d'un trésor légendaire.

Petit point vocabulaire sur les bateaux. Tout d'abord, les "basiques": «tribord» signifie « droite » et «bâbord» veut dire « gauche ». La proue est l'avant d'un bateau, elle était la plupart du temps accompagnée d'une sculpture, souvent une sirène. La poupe est l'arrière du bateau.
Maintenant un peu de vocabulaire de bateaux en eux-mêmes: l'Anjoué est un galion ce qui veut dire que c'est un grand bateau du XVII ème siècle à trois ou quatre mâts à voile carrée. La plupart des galions étaient des navires espagnols ou portugais qui transportaient les trésors des colonies vers les royaumes d'Espagne et du Portugal. Ce sont des bateaux assez grands, d'environ 50m de longueur et 25 de largeur de quatre ou cinq étages et pouvant contenir jusqu'à 70 canons (=sabords).
Il y a également des frégates: des bateaux rapides et fins pour la guerre avec un équipage de 300 à 600 hommes et de 30 à 60 canons. La barque n'est pas celle que nous connaissons aujourd'hui (qui était appelée canot) mais un trois-mâts assez grand.

Si vous avez des questions, notamment sur le vocabulaire, n'hésitez pas. Les commentaires sont aussi faits pour ça.

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant