Chapitre 20 : La légende de Léviathan

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Colt chiqua quelques secondes, le temps de penser à ce qu'il allait raconter. Il s'installa finalement à ce qui était la place de son capitaine et se lança dans son descriptif des dernières années.

—Quand on s'est séparés, vous êtes partis à l'Ouest et nous au Nord. Léviathan voulait récupérer quelques bateaux et hommes avant de faire son vrai retour sur les mers : on en avait déjà perdu pas mal avec l'abordage après lequel O'Connor et lui se sont alliés, et d'autres encore avec la tempête. Et puisqu'il craignait encore une mutinerie, avoir de nouveaux gars sur lesquels asseoir directement son autorité tout en rappelant aux autres que c'était lui, le véritable capitaine, semblait être la meilleure sinon la seule solution. On est passé par différents ports de Grande Bretagne avant de redescendre vers les Caraïbes. On est resté un moment là-bas, on a attaqué pas mal de flottes. Mais on s'est fait attaquer par la Royal Navy anglaise. Un de leurs amiraux, un certain Smith s'est donné la mission d'éradiquer les pirates. Méfie-toi de lui. On a pu lui échapper en coulant deux de ses bateaux, mais d'après une rumeur il aurait déjà capturé et fait exécuter plusieurs équipages. Lorsqu'ils nous ont prit en étau, on a bien cru que c'était notre fin. Mais c'était sans compter sur Léviathan qui encore une fois, nous a tiré de ce mauvais pas. Alors même que j'étais avec lui, je ne sais pas comment il fait pour prendre autant de vitesse aussi rapidement pour les semer. On aurait dit qu'il contrôler les vagues.

Joe écouta avec attention le récit du second du capitaine et se rappela mentalement qu'il devrait se méfier de ce Smith. Pourtant et dès les premières secondes son attention n'avait pas été totale, ce que Colt ne sembla pas remarquer.

Ce dernier tiqua cependant lorsque le jeune capitaine lui posa une question qui n'avait pas le moindre rapport avec les évènements des dernières années : « Pourquoi on l'appelle Léviathan ? Enfin, je sais que c'est un surnom qu'il a gagné après en avoir battu un, mais il avait bien un nom avant ça. »

Colt haussa les épaules et afficha une moue peu intéressée avant de grommeler que cette réponse l'importait peu : peut-être son capitaine avait-il eu un nom avant, mais cela faisait si longtemps qu'on ne l'appelait plus que par son surnom que tous l'avaient oublié, même le principal concerné. Cependant, s'il y avait quelqu'un qui pouvait s'en souvenir, c'était bien le vieil Isaac.

Joe hocha la tête puis sorti de la cabine tout en s'étirant longuement, groggy d'être resté aussi longtemps sans bouger. Colt, qui l'avait suivi, l'entraîna alors vers le dénommé Isaac. C'était un pirate d'un peu plus d'une quarantaine d'années aux cheveux et à la barbe grisonnants dont le visage était parcouru de diverses stigmates de la vie. L'homme paressait en regardant le ciel bleu taché de petits nuages épars.

—On t'paie pas pour compter les nuages, grommela Colt en le voyant ainsi.

Isaac se redressa difficilement et bougonna dans sa barbe qu'en ce moment, il n'était pas du tout payé. Ne perdant pas de temps dans de bavardages inutile, Joe le salua d'un hochement de la tête.

—Isaac, c'est bien ça ?

—Ouais, et toi c'est Turner ? J't'imaginais plus vieux pour être capitaine.

Joe se pinça les lèvres, lassé que son statut soit constamment remis en question par son jeune âge. Il décida d'ignorer le commentaire du pirate et lui demanda, tout en fixant son homologue du regard : « Il parait que tu connais Léviathan depuis longtemps. »

—Pour sûr, je le connais d'avant même qu'il soit pirate. Pourquoi ?

—Tu l'as connu comment ?

—Figure toi que ce grand et fort capitaine n'a pas toujours été ainsi. Ça doit bien faire vingt ans que je le connais maintenant. A l'époque, j'avais pas la moindre Livre alors je volais pour survivre. Principalement dans les foires et marchés. Et je passais mes soirées et nuits dans des tavernes. C'est là que j'ai rencontré un gamin pas même majeur en train d'se faire tabasser par plus fort que lui. Sans même savoir pourquoi, je suis intervenu et après leur avoir flanqué une bonne raclée, j'ai ramassé un gosse couvert de sang. Et le pire c'est que cet abruti était fier de lui parce qu'il avait réussi à leur voler quelques pièces.

—C'était Léviathan ?

—En personne. Mais à l'époque il s'appelait Robert Culligan.

—Y'a pas à dire, Léviathan c'est quand même mieux, sourit Joe.

—J'te l'fais pas dire. A partir de ce moment Robert et moi étions souvent ensembles dans les mauvais coups. Tu pouvais être sûr que dès qu'il y avait un truc à faire, nous étions dedans. Et forcément quand on a croisé la route d'Edward Mansfield. Robert a immédiatement voulu s'engager et moi, puisque j'avais aucune attache, je l'ai suivi. D'après mes souvenirs, on était alors en mille-neuf-cent cinquante-quatre. On est resté un moment sous son commandement mais en mille-six-cent soixante-six il a été exécuté avec deux-cent de ses hommes par le gouverneur de Cuba. C'est à ce moment qu'on s'est sauvés tous les deux. On a réussi, je ne sais pas par quel miracle, à voler une goélette et à engager quelques hommes. Puis petit à petit on a échangé la ? contre notre bon vieil Argos V, poursuivit Isaac en tapotant presque amicalement les planches du galion. En quelques mois l'équipage a commencé à se construire et c'est tout naturellement que Robert est devenu le capitaine.

Plongé dans le récit, Joe réprimait ses questions et commentaires. Discutant avec Mike et Colt non loin, le principal concerné par la discussion posait de temps à autre un regard presque paternel sur lui et s'amusait de voir que l'enfant qu'il avait autrefois connu n'était pas être qu'enfoui sous coiffe du capitaine.

—C'est une nuit, alors qu'on dormait presque tous que l'océan a commencé à s'agiter. En quelques minutes, le ciel était devenu aussi noir que l'enfer. A cause des rafales de vent on tenait à peine debout. Puis l'océan s'est ouvert en deux et un monstre est sorti. Il était terrifiant, plus haut qu'un galion et plus large que l'horizon. On se voyait déjà tous dévorés quand Robert s'est avancé et a dit qu'il n'allait pas mourir ce jour. Il y a alors eu un combat et une course-poursuite incroyable entre les deux et ce n'est qu'au petit matin que le monstre avait disparu. Ainsi naquit la légende de Léviathan, conclut le vieux pirate dans un murmure.

Joe relâcha son souffle qu'il avait retenu sans même s'en rendre compte et prit le temps d'analyser chacune des informations qui lui avait été données. Mais il posa une question bien différente de celle à laquelle Isaac s'attendait :

—C'est bien Mansfield votre ancien capitaine ?

—C'est ça.

—J'ai déjà entendu ce nom quelque part, souffla-t-il pour lui-même.

—Mansfield ? C'est possible. Il n'était pas très renommé mais son successeur l'est : Henry Morgan.

Le visage du capitaine s'éclaira soudainement et il se tourna vers Mike d'un air ravi. Ce dernier fronça les sourcils devant l'action de son capitaine mais n'obtint aucune réponse de lui.

—C'est ça ! Mon second vient apparemment du même équipage que vous. Il s'est engagé quelques semaines avant que Morgan ne prenne le commandement et suite à une dispute avec lui il s'est retrouvé abandonné. William l'a récupéré.

Les yeux du vieil Isaac se posèrent alors sur ledit second mais malgré ses efforts, il ne parvint pas à le reconnaître. Joe haussa les épaules en expliquant qu'en six ans, Mike devait avoir bien changé et de plus, avec le millier de pirates que Mansfield avait sous son commandement, il n'était pas étonnant que certaines têtes soient inconnues.

Les jours suivants se poursuivirent ainsi, les retrouvailles entre les deux équipages avaient provoqué de nombreuses discussions mais bien vite il fut temps pour chacun de deux capitaines de se remettre en route vers leur destin.

C'est ainsi qu'au matin du premier jour du mois de décembre, Joe Turner ordonna de mettre le Cap vers le Sud, sans se douter des rencontres qu'il allait encore faire, dont certaines qu'il aurait de tout cœur voulu éviter.

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant