Chapitre 23 : Capitaine déchu

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Le voyage fut long. Joe l'avait passé enfermé dans sa minuscule pièce, séparé de ses camarades et sans nouvelles d'eux. N'ayant que pour seules visites quotidiennes un mousse qui venait lui apporter de quoi se nourrir une fois par jour, le capitaine déchu avait cru devenir fou. Mais ce qui l'avait le plus rendu fou, notamment de colère, c'était l'amiral Smith : non content d'emmener le capitaine et son équipage vers la mort, le militaire britannique avait également insisté pour connaître l'emplacement d'un trésor bien particulier :

—Assez rigolé, Turner. Je sais qu'O'Connor avait des cartes pour trouver un trésor grandiose, dis-moi où il est.

—Je suis navré, amiral, mais je connais pas un pareil trésor.

—Joue pas au plus malin avec moi.

Joe s'était alors redressé de toute sa hauteur et avait planté ses yeux bleus dans le regard vide et froid de l'autre.

—C'est fini de jouer, Turner. T'as perdu, toi et toute ta bande de hors-la-loi allez être pendus. Alors dis-moi où est ce trésor et tu seras épargné.

—Y'a quelque chose que t'as pas dû comprendre : le Trésor des Pirates est aussi connu sous un autre nom : on l'appelle le Trésor Maudit parce que nombreux sont ceux qui ont tenté de le trouver mais se sont fracassés contre les monstres et récifs. La légende dit qu'il est grandiose, mais même les pensées ne peuvent égaler la véritable beauté d'un trésor. Mais ça, tu le comprendras jamais. Abandonne ; jamais tu ne trouveras le Trésor des Pirates. Je suis le dernier à connaître son emplacement et j'emporterai ce secret dans ma tombe.

L'amiral n'avait alors pu se retenir de frapper Joe qui ne s'était pas défendu, avant de sortir avec un air furieux sur le visage. Joe avait un instant craint pour Jessie et ses hommes, mais aucun d'eux ne connaissait, selon Smith, l'île qui cachait le somptueux trésor. Il ne lui avait pas non plus dit que le trésor ne se trouvait pas dans les pièces et joyaux que cachait l'archipel ; mais ce qu'il était devenu : l'Île lui avait certes donné de nombreuses richesses, mais elle avait été à l'origine de son changement, de son passage de capitaine faible, peu sûr de lui et peu soutenu à celui que son équipage avait suivit jusque dans la mort. C'est avec cette pensée que Joe s'assit contre les planches le séparant de l'eau et attendit. Il attendit l'arrivée en Angleterre, l'arrivée de la fin, l'arrivée de la mort.

Des jours, peut-être des semaines plus tard, des menottes avaient été glissées autour de ses chevilles et poignets et ce qui restait des pirates était descendu sur la terre ferme.

Pour la première fois, Joe ne savoura pas le déséquilibre causé par la stabilité de la terre, pour la première fois, il ne posa pas un regard à la fois fier et provocateur sur les habitations, il n'échangea pas un sourire avec Jack et Billy et surtout, pour la première fois il ne baissa la tête et ne pu affronter un regard : celui de Jules, le mousse pas même majeur qui s'était engagé quelques mois plus tôt, se sentant coupable de l'avoir livré à la faucheuse. Pourtant, s'il avait levé les yeux, Joe aurait été surpris de croiser ceux de ses compagnons, plus droits et fiers que jamais, plus à ses côtés qu'ils n'auraient jamais pu l'être. Jack et Billy s'étaient naturellement placés de part et d'autre du jeune homme, Mike était derrière eux avec Jessie et les autres suivaient. Derrière lui jusque la fin, jusque dans la mort.

Déjà, une foule curieuse s'était rassemblée autour des prisonniers et ce furent les gardes qui durent les écarter et les contenir le temps de la marche qui les séparait de la prison. A côté de lui, le capitaine entendit Billy murmurer qu'ils étaient à Londres. Mais il n'eut pas le temps de lui répondre que devant eux se trouvait un bâtiment sinistrement inquiétant : bâtie avec de grandes pierres sombres et fermée par une imposante grille, la prison provoqua un frisson chez les pirates. Ils furent ensuite jetés sans plus de cérémonie dans des geôles collectives, séparés en plusieurs groupes : Jessie d'un côté, et les hommes de l'autre. Joe fut enfermé dans une geôle individuelle. Il put voir que Billy et Harry furent enfermés respectivement à sa gauche et devant lui.

Aussitôt que la porte fut refermée derrière lui, Joe ignora les regards curieux tournés vers lui, redevenant le capitaine fermé qu'il avait été, et avisa un pan du mur sale. Sans attendre, il alla s'asseoir contre la pierre froide et soupira : lui qui aimait tant sa liberté, sentir l'air et le vent se sentait déjà oppressé entre les murs sombres et sales de l'étroite cellule. Dans son dos et malgré la grille refermée et les mus épais, le capitaine entendait les murmures et sentait les regards qui avaient suivi leur arrivée.

D'un murmure enroué par la détention de plusieurs jours, Billy, après s'être installé dans la même position que son ami de capitaine déclara avec un air étonnamment calme qu'ils étaient dans la prison de Newgate, récemment reconstruite après le grand incendie de Londres en huit ans auparavant.

Appuyant sa tête contre le mur, Joe laissa échapper un autre soupir en se disant que les prochains jours seraient bien longs. Mais comme s'il avait lu dans ses pensées, son ami poursuivit sur le même ton que désormais, peu de jours les séparaient du procès qui déciderait de la fin qui serait la leur.

A partir de ce moment, les jours devinrent interminables pour les pirates, qui de plus ne supportaient plus d'être enfermés après avoir passé une majeure partie de leur vie à naviguer avec la plus grande liberté au rythme des vagues et du souffle du vent.

La matin du cinquième jour, ce fut le début de la fin. Un garde vint chercher Joe pour qu'il passe devant un tribunal. Il avait été décidé qu'étant les capitaines et donc responsables de leurs actions mais aussi de celles des autre pirates prisonniers, seuls Joe et Jessie seraient entendus devant le tribunal où le sort de tous serait décidé.

Les autre pirates ne surent jamais ce qui avait été dit entre les quatre murs du tribunal, il n'apprirent jamais que malgré leurs tentatives, les capitaines n'avaient su se défendre et les protéger. Pourtant, au moment où leur sentence fut prononcée, la pièce était soudainement devenue silencieuse et seule la parole du juge avait résonné. C'est alors que la fascination pour les pirates s'était développée plus encore : bien que jugés séparément, les capitaines avaient eu la même sentence mais surtout, la même réaction : alors que le juge venait de déclarer qu'ils étaient condamnés à mort par pendaison, Joe n'avait pas bronché, acceptant la décision la tête haute et le regard fier.

Puis il était retourné dans sa cellule accompagné de deux gardes. Quand il était arrivé, ses compagnons l'avaient regardé avec un air navré, se doutant de l'issue du procès : leur destin avait été scellé bien des années auparavant lorsqu'ils avaient choisi la loi de l'illégalité. 

Joe TurnerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant