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J'avais l'impression d'avancer dans un monde de paix. Plus rien n'était mauvais. Les vallées étaient fraîchement coupées et n'avaient aucunes barrières, et les herbes pliaient doucement sous le vent. Je ne ressentais plus rien à part une impression de liberté que je n'avais pas auparavant. Je croyais que j'allais m'en vouloir pour la mort des trois hommes, mais pas du tout, en fin de compte. J'étais sereine. Hylios semblait l'être aussi.
"Tu ne dois pas regretter tes actes", me dit-il alors.
Je me suis tournée vers lui en souriant.
"Je ne regrette rien."
Cela faisait si longtemps que je n'avais pas souri de manière franche. Je redécouvrais ce que cela faisait de ne pas avoir de problèmes. De se sentir libre. De ne pas avoir peur de ce que les gens pensent de nous, de se dire que, finalement, notre vie n'est pas si inutile. Que nous servons à quelque chose. Mais j'ai peur que ce ne soit pas le cas pour tout le monde. Les chevaux avaient ralenti l'allure et ils ont fini par s'arrêter.
"Ils ont trop marché.", dit Hylios.
"On ne pourra pas les mener par la bride", ai-je ajouté. "Il vaut mieux les relâcher dans la nature. Ils trouveront eux-mêmes un chemin vers des habitations."
"Ou pas. Ils font ce qu'ils veulent."
J'ai acquiescé, puis nous sommes descendus de selle. Les chevaux nous ont regardés nous éloigner puis ont pris eux-mêmes un chemin. Nous continuerons à pied. Hylios marchait près de moi. Cela faisait un bout de temps que je n'avais pas marché de manière longue, et je sentais que je ne pourrais pas tenir longtemps.

"On fera quoi après Ermise ?", me demanda Hylios.
"Ce sera peut-être la guerre, à Ermise.", répondis-je.
"Mais si il n'y a pas la guerre ? Si la paix perdure ?"
Je me suis tournée vers lui, l'air mélancolique.
"La paix ne perdurera pas, Hylios. Tu le sais autant que moi. Il faudra sûrement se battre. Et il faudra peut-être mourir."
"Et pour quoi il nous faudra mourir ? Pour montrer au monde que nous sommes plus forts que le Maître ? Pour prouver que la jeunesse n'est pas forcément un synonyme d'impulsivité ?"
J'ai haussé les épaules.
"Peut-être, oui."
Il s'arrêta et je fis de même. Il posa ses mains sur mes épaules et me fixa droit dans les yeux.
"Alors dans ce cas, pourquoi emporter le monde entier avec nous ? Pourquoi ne pas garder nos problèmes pour nous ? Ou non, même pas... Pourquoi ne pourrait on pas s'en ficher ? Retourner à Terre-Noire où on est sûrs d'avoir de véritables amis qui nous garderont avec eux quoi qu'il arrive ?"
J'ai regardé le sol.
"Parce que nous ne sommes pas les seules cibles du Maître... Et c'est justement parce que je ne veux pas emporter le monde dans un précipice que je veux me battre. Je veux me battre pour qu'ils aient le droit... Le droit de vivre, parce que... T... Toutes les vies se valent, tu te souviens ?"
Je retenais difficilement mes larmes.
"Q... Que... Qu'un jour ils puissent voir le monde comme il mérite d'être vu... Sans avoir forcément écho de massacre, de sang et de cadavres... Pour que ce monde ne soit pas comme celui d'où je viens. Pour qu'il soit... Meilleur. Mieux qu'il ne l'est déjà."
Les yeux d'Hylios étaient pleins de tendresse. Je ne voulais pas pleurer, mais je ne pouvais m'en empêcher. Une fois de plus, Jaymery avait raison. J'avais besoin d'Hylios et lui aussi avait sûrement besoin de moi. Il finit par me prendre dans ses bras.
"Tu es là."
Oui, j'étais là. Et pour rien au monde je voulais être ailleurs.

Le soir tombait déjà. Cette journée avait été courte. C'était la première fois que j'avais tué quelqu'un, mais aussi la première vraie journée que je passais avec Hylios. C'est aussi aujourd'hui que je me suis rendue compte que beaucoup trop de gens me détestaient mais étonnement, je m'en fichais. Je m'en fichais car j'étais une personne bien trop importante pour me préoccuper de ça. Nous nous sommes installés dans l'herbe, un peu à côté du chemin, car il n'y avait nulle part où s'abriter, mais ce n'était pas très grave, vu qu'on ne courait aucun risque dans cette partie des plaines. Nous n'avons rien mangé non plus. Nous n'avions pas faim. Je me suis couchée sur le sol et je me suis endormie.

Le sol était chaud. Plus chaud sur l'herbe. C'était étrange. Où je m'étais endormie ? Bien sur l'herbe pourtant. Il bouge, le sol. Il est chaud et il bouge. Attendez. J'ai les pieds sur l'herbe. Où est passée l'herbe en dessous de ma tête ? J'ai ouvert un œil. J'avais la tête posée sur le ventre d'Hylios qui dormait paisiblement. Je me suis levée d'un bond.
"Mais qu'est-ce que..."
Je me suis décalée de lui puis je me suis allongée de l'autre côté. J'ai dû bouger dans la nuit. C'est pour ça. Hylios s'est mis à bouger. Il dormait toujours. J'ai soupiré. Depuis combien de temps nous dormions ? Le soleil était déjà haut, et il fallait que nous atteignions vite Ermise. Je puais la sueur et le sang, et cela me rappelait toujours plus le meurtre que j'ai commis la veille. Hylios ouvrit les yeux lentement.
"Bonjour", dis-je.
Il se frotta les yeux.
"B.. Bonjour... Tu n'as plus froid ?"
Je l'ai regardé, incompréhensive.
"Je n'ai jamais eu froid, tu dois être fatigué", dis-je en souriant.
"Si... Cette nuit tu as eu froid."
Oh punaise. C'est bon, j'ai compris pourquoi je m'étais réveillée... Là où je m'étais réveillée. Je me suis contentée de sourire.
"Eh bien... Non, ça va, je n'ai plus froid. Merci."
Il s'est assis et a commencé à rassembler nos affaires. Je l'y ai aidé. Nous avons tout pris et nous avons commencé à avancer.
Il fallait atteindre Ermise au plus vite.

"Pluie.
Sang.
Lames.
Les cris, les pleurs.
Suis-je morte ?
Où suis-je encore en vie ?
Je ne vois plus le soleil.
Je ne vois que le sombre, la nuit.
La nuit et les esprits corrompus."

Edanaelda - Tome 2 - Tout est susceptible de changer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant