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Les oiseaux volaient dans la direction opposée à la nôtre. C'était déjà bientôt l'hiver ? Je ne voyais plus le temps passer. Nous avions déjà nos cinquante-trois lunes vertes aujourd'hui. Mais je n'avais aucunement l'envie de les fêter. La chanson eranam dentur frappait et tonnait dans ma tête. Une autre s'était mêlée à la fête. C'était des chansons d'espoir, et ça me faisait du bien de les chanter.

Un château au loin. C'était Ermise. Je voyais d'ici les bannières avec la tour. J'étais en même temps contente, en même temps triste. Ce château ne serait peut-être que des ruines après la guerre, même si le fort que j'ai vu ne ressemblait pas à ces remparts. Loin de là. Alors où cette fichue guerre se déroulera ?

Nous sommes arrivés au pied du pont-levis. Sitôt qu'ils nous ont vus, les gardes ont donné l'ordre de nous ouvrir les portes. Peut-être était-ce les tenues rouges... Les portes se sont ouvertes sur la ville d'Ermise. Elle ressemblait beaucoup à Terre-Noire par son aspect taillé pour la guerre. Les gens se sont tournés vers nous et certains reculaient. Ils semblaient presque avoir peur. D'un autre côté, je n'avais pas pris l'air le plus accueillant, je restais droite, froide, impassible. J'avais l'impression de sentir le sang à un kilomètre. Même lavées, le sang demeurera toujours sur mes mains. Nous avons été accueillis par les gardes qui nous ont escortés jusque dans le château. Le roi était sur le trône. C'était un homme très âgé, presque aveugle, qui peinait à relever la tête. À ses côtés, une jeune fille aux cheveux de jais nous toisait du regard.
"Voici sa majesté Yren, roi d'Ermise, et sa fille, la princesse Adella d'Ermise."
Le garde attendit la réponse du roi à cette présentation, mais la princesse se leva d'un bond.
"Laissez mon père à ses occupations, garde. Je m'occupe de tout. Nous n'attendions personne, qui sont ces gens au juste ?"
Le garde se tourna vers la princesse.
"Ce sont les Absolus de Liéssance, votre altesse. Ils viennent, comme nous l'a dit dame Armirelle d'Erminalle, trouver asile chez nous."
La princesse se mit à rire.
"Et puis quoi encore ? C'est un château, pas une auberge. Renvoyez les."
Le garde se tourna vers nous.
"Je suis navrée, princesse, mais ils font partie de l'alliance, et c'est en notre devoir. Votre père le roi  aurait accepté."
La princesse, toujours réticente, croisa les bras d'un air buté.
"Mon père n'est plus en mesure d'ordonner quoi que ce soit. C'est moi qui régis Ermise à présent. Et je ne veux pas d'eux."
Je me suis avancée vers la princesse. Elle avait beau être un peu plus âgée que moi en apparence, ce n'était que l'extérieur. Ce qu'elle faisait n'était qu'un ridicule caprice de petite fille qui ne pouvait plus compter sur sa famille.
"Une guerre se profile, princesse. C'est votre royaume qui en est le centre, et ce sera inévitable. Vous devez mettre votre peuple à l'abri. Et vite."
Elle sembla un instant adhérer à mes paroles, mais ce n'était qu'une impression.
"Je me fiche de vos dires. Vous êtes fous."
Elle s'en alla en trombe de la salle.
"Excusez madame", fit le garde. "Il faut la comprendre. Un de vos camarades, Seldir, à poussé sa mère au suicide. Je ne sais pas si vous savez de qui je parle."
Ce nom me disait quelque chose mais je ne savais pas quoi. Hylios s'avança.
"C'est le Maître."
Je me suis tournée vers lui.
"C'est lui qui viens faire éclater la guerre. C'est de lui qu'il faudra vous méfier.", a-t-il continué.
Le garde l'écoutait attentivement.
"Nous sommes allés à la fontaine aux souhaits de la forêt bleue, et ma... Ma liée a vu la guerre. Elle a vu votre royaume. Il faut au plus vite se mettre à l'abri."
Le garde avait les yeux exorbités. Il tremblait. Le Maître avait l'air d'être particulièrement connu ici.
"Je... Je vais en parler à princesse Adella."
Sur ce, il s'en alla. Hylios et moi sommes restés dans la grande salle du trône avec le vieux roi. Il esquissa un faible mouvement des paupières.
"J... J'ai cru entendre le n... Nom de l'homme qui..."
Il inspira profondément.
"Qui tua ma femme."
Nous nous sommes tournés vers lui. Il inspira bruyamment. Une servante lui apporta une coupe remplie d'un liquide vert qu'il s'empressa d'avaler.
"Qui... Qui êtes vous et que venez vous... Faire en ma demeure."
Je me suis avancée puis agenouillée. Hylios fit de même. Je lui laissa le soin de la présentation.
"Nous sommes les Absolus de Liéssance, votre majesté. Nous venons vous avertir d'une guerre imminente que le meurtrier de votre femme compte lancer. Nous sommes venus pour vous avertir de les cacher."
Le roi se redressa péniblement.
"Donnez... l'ordre."

Un cor retentit. Les gens au dehors commencèrent à s'affoler.
"Je... Ne peux plus partir... Mais emmenez ma fille..."
Nous sommes partis dans la direction dans laquelle la princesse était partie. Sur le chemin, nous avons croisé le garde.
"Que faites-vous ici ? Vous n'en avez pas l'autorisation."
"Nous venons chercher la princesse."
Le garde déglutit.
"Non."
J'ai serré les poings.
"Ordre du roi."
Le garde se mit à fixer le sol. Il soupira. Il cachait quelque chose. Au bout d'un moment, il releva la tête.
"Très bien. Suivez moi."
Il nous guida à travers les couloirs. Au bout d'un certain temps, il s'arrêta devant une porte richement décorée.
"Je vous préviens, ce n'est pas beau à voir. J'ai voulu parlementer avec dame Adella, mais elle ne voulait rien entendre. Elle continuait à dire que vous étiez des alliés du meurtrier de sa mère et que vous nous conduiriez à notre perte. Elle hurlait, toujours plus. Puis quand elle a entendu les cors de guerre, elle a choisi..."
Il ouvrit la porte.
"... De rejoindre sa mère."
Devant nous se trouvait le cadavre de la princesse. Elle avait visiblement pris un bougeoir, qui avait une forme de dragon, et se l'était planté plusieurs fois dans le ventre avant de s'écorcher les poignets.
"Il faut partir à présent."
"Mais...", fit le garde. "Le roi ne peut plus se déplacer..."
J'ai posé une main sur l'épaule du garde.
"Il ne compte pas venir avec nous."
Il déglutit.

"Le sang le sang.
La fille sera tuée.
Elle aura attenté à la vie du Rouge.
La Rouge se venge.
La vengeance est noire.
Blanc."

Edanaelda - Tome 2 - Tout est susceptible de changer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant