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La tour noire se dressait dans le paysage comme un pylône électrique au milieu d'un champ. En plus imposant. Hylios était tout en haut.
"À couvert.", nous dit alors Jaymery. "Jeune homme, quel âge as-tu ?"
"Soixante sept lunes vertes", répondit Pawen.
"Donc tu es majeur."
"Ça ne change rien", dis-je. "Je libérerai aussi Hylios. Je veux m'en charger. Je veux pouvoir avoir ce mérite."
Jaymery se tourna vers moi.
"Soit."
Nous n'étions pas encore près de la tour. Par chance, il y avait des forêts autour, et nous pouvions nous y cacher. Nous avions chevauché pendant très longtemps, et nous aurions dû dormir, mais je l'ai refusé. Je ne pouvais pas fermer l'œil tant qu'Hylios était en haut d'une tour où il était seul. Il allait mourir. Je ne pouvais pas m'endormir en pensant à ça.
"Bon. Vous avez des idées ?", demanda Pawen.
"Oui", répondis-je. "On avance avec les chevaux jusqu'à ce qu'on soit à la lisière. Quand on est sur le point de se faire voir, vous me donnez la main, j'arrête le temps. On libère Hylios en une heure, et on s'en va."
Pawen et Jaymery m'ont regardée. J'ai attendu qu'ils répondent. Comme ils ne le faisaient pas, je fronça les sourcils et reprit la marche. Ils m'ont suivie.
"Bon plan.", finis je tout de même par entendre.

L'orée de la forêt n'était pas si loin.
"Vos mains."
Les deux hommes me tendirent leur main et je les saisis. J'ai fermé les yeux. J'ai pensé. Encore comme d'habitude. Ça avait encore marché. J'étais fière. Les chevaux, quant à eux, étaient immobiles comme des rochers. Nous en sommes descendus.
"Allez, on se dépêche, on va au centième étage !"
J'ai couru vers les portes. Les gardes étaient devant, immobiles, comme tous les autres. J'ai touché les portes et elles se sont ouvertes. Dans la prison, il n'y avait ne serais-ce qu'au rez-de-chaussée des dizaines de cellules, et deux escaliers s'entrecroisaient. Il fallait faire vite. La tour semblait si grande. J'ai couru, Jaymery et Pawen à ma suite. Au début, mes mouvements étaient fluides, j'avais de l'assurance, mais au bout du quinzième étage, je commençais déjà à fatiguer. Je ne pouvais pas m'arrêter maintenant. J'ai continué.
"Moins vite, devant !"
Je n'écoutais plus. Je gravissais encore, toujours. Je n'avais plus de cœur, plus rien. Rien qui pouvait m'empêcher de grimper. J'étais à genoux au cinquantième étage. Après cela, j'ai arrêté de compter.
"Att... Attends-n... Nous..."
Je n'attendais personne. Hylios allait peut-être mourir.
J'ai fini par y arriver. Je voyais au loin les têtes de Jaymery et Pawen qui montaient à ma suite. J'ai ouvert la porte. Elle n'était pas verrouillée. Hylios était assis sur une plateforme au dessus du vide. Elle était tenue par de ridicules ponts suspendus qui menaient à des murs, et ses mains étaient liées à de lourdes chaînes accrochées au mur. Sa tête pendait au dessus du vide, comme s'il était sur le point d'y tomber. Comment parvenir au centre de la pièce ? J'ai regardé les murs près de moi. Sur un des côtés, il y avait un volant.
"Il actionne peut-être les ponts."
Je me trouvais sur le sol qui bordait un précipice, celui que les ponts suspendus recouvraient. Ils donnaient accès au sol, tout en bas, et vu comme j'avais eu de la difficulté à monter les marches, je ne voulais pas faire une chute telle. Le seul souci, c'est que jusqu'au volant, le sol était de plus en plus étroit. Mais il le fallait. Je me suis avancée. Je me suis accrochée au mur. Il n'était pas loin, ce volant. J'ai tendu la main et je l'ai saisi. J'ai commencé à le faire faiblement tourner. Le pont vint vers moi. Mais il ne fallait pas que je l'emprunte là où j'étais. Il fallait qu'il aille jusqu'à la porte.
"Tu es là ?"
Pawen et Jaymery sont entrés. Ils m'ont vue tourner le volant, et m'ont saisi un bras.
"Ne tombe pas. Vas-y."
J'ai continué à tourner. Jaymery attendais le pont. Une fois qu'il était à portée de son bras, il l'arttira vers lui.
"C'est bon."
Pawen m'aida à revenir près de la porte.
"Merci."
Je me suis avancée vers le pont. Pawen et Jaymery sont passés derrière moi. Hylios se rapprochait. Quand je suis arrivée au niveau de sa plateforme, je pris son visage entre mes mains. Il releva péniblement la tête vers moi. Il avait un regard inexpressif, et j'ai d'abord cru qu'il était mort. Puis, à ma vue, il sourit.
"J'ai fait un rêve...", murmura-t-il.
J'ai pleuré. Il était vivant. Vivant. Près de moi. Jaymery s'approcha de moi.
"Je vais t'aider. Il n'a pas assez de force pour se lever seul."
J'abandonna à contrecœur l'épave qu'était le corps d'Hylios. La plus rassurante des épaves. Jaymery pris Hylios par les épaules. Lui et Pawen le soulevèrent et se dirigèrent vers la porte. Je les ai suivis. Ils ont descendu le plus rapidement possible les escaliers. Nous avions encore du temps, mais il ne fallait pas traîner. Hylios s'était comme endormi. Je les ai suivis, l'épée au poing. Il ne fallait pas que les gardes ne se mettent en tête de nous poursuivre. Je ne savais pas si il fallait les tuer, tous, mais je ne voulais pas qu'ils nous rattrapent. Une fois en bas, Jaymery me confia la porte d'Hylios.
"Je vais aller tuer leurs chevaux. Ils ne nous rattraperons jamais sans montures.", dit-il.
Pawen me fit signe de sortir. Nous sommes allés dehors avec Hylios. Nos chevaux étaient toujours dans la forêt, immobiles. Je n'avais pas surveillé l'heure, mais si elle avait tourné plus vite que prévu, ça allait poser un problème.
"On le met sur quel cheval ?"
J'étais tentée de dire le mien, mais je n'avais pas assez d'expérience en équitation pour cela.
"Le tien. Tu es le meilleur cavalier d'entre nous, Pawen. Je suis désolée."
Il sourit.
"Tu blagues ? C'est un honneur."
Je l'ai aidé à installer Hylios et je suis montée sur mon cheval. Je toucha son encolure avec mes mains, et celle du cheval de Pawen. Les deux montures reprirent vie. Jaymery sortit de la prison les mains pleines de sang, l'épée rougie.
"On y va."
Il monta sur son cheval, je le réanima, et nous sommes partis plus vite que jamais.

Edanaelda - Tome 2 - Tout est susceptible de changer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant