Chapitre 12 : Léna

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Léna entra la dernière dans le hall, juste après Monsieur Smith et Colin. Tout le monde semblait avoir retrouvé de l'espoir avec la possibilité de démasquer le meurtrier à son écriture, si bien que l'ambiance n'était vraiment plus la même que quelques minutes plus tôt. La jeune fille entendit même un petit rire, ce qui aurait paru impossible avant.

Elle, cependant, restait toujours aussi sceptique. Si M était capable de faire disparaître Adrien d'un ascenseur, de fermer toutes les portes du musée, d'éteindre puis de rallumer les lumières, se pouvait-il qu'il ait fait l'erreur d'écrire ses messages de sa propre écriture ? Ce serait d'une maladresse indescriptible.

Léna soupira en observant ses camarades fouiller la salle pour retrouver les sacs et les questionnaires, qu'ils n'avaient pas tous emporté quand la situation avait dégénéré. Elle n'avait pas vraiment envie de se mêler à l'agitation générale. À vrai dire, elle ne sentait pas très bien, un peu nauséeuse, même si elle ne le montrait pas.

La rousse commençait à en avoir assez de ce jeu du chat et de la souris. Elle préférait en général y aller à l'instinct plutôt qu'aux indices, car son intuition était souvent juste. Et dans ce cas-ci… elle lui soufflait que le meurtrier était Gabriel.

Les raisons étaient très simples. Tout d’abord, parce c'était le seul de la classe qu'elle imaginait capable de tuer quelqu'un de sang froid, et qui était assez sadique pour organiser une petite chasse au trésor autour. Et ensuite, parce que c'était le seul à sa connaissance qui avait une raison de le faire.

Léna ne se considérait pas comme une fille méchante, mais elle devait bien avouer qu'elle avait pu l'être, quand elle était plus jeune. Au collège, notamment. Tout le monde vivait l'adolescence différemment… Pour elle, ç’avait été de découvrir avec joie la puberté. Les autres filles jalousaient sa poitrine, ses formes, et son aisance avec son corps. Les garçons aussi la regardait, car en plus d’être gâtée par la nature, Léna avait un visage charmant. Et son comportement avait suivi, car tout ça lui avait plu. Pendant une période, elle était devenue une vraie garce. Mais à présent qu’elle détestait celle qu'elle avait été et aurait aimé pouvoir tout effacer, les conséquences étaient là, sous ses yeux.

Dès que Gabriel était arrivé dans sa classe, au cours de son année de sixième, les moqueries avaient commencé à fuser. Ce garçon faisait une tête de moins que tous les autres qui n'étaient déjà pas bien grands, et arborait une timidité maladive sous ses cheveux noir corbeau et sa peau d'une pâleur presque moribonde. Léna se souvenait l'avoir trouvé un peu mignon, au début, mais elle s'était peu à peu laissée emporter. Après tout, c'était amusant, et puis, tout le monde le faisait alors une de plus ou une de moins…

Ce n'était que maintenant que la jeune fille réalisait vraiment ce qu'elle avait fait. À rire avec les autres en observant Gabriel se faire harceler sans jamais le défendre, même si elle n'avait pas activement participé, elle s'était quand même rendue coupable de ce qu'il avait subi.

C'était en quatrième que la réputation du garçon avait commencé à passer de celle de simple victime à celle de psychopathe. Au début c'était léger, seulement parce qu'un élève l'avait vu arracher les pattes d'une araignée quand il était seul derrière le bâtiment pendant la récréation. Ça avait vite pris une certaine proportion quand certains garçons avaient été dire à tout va qu'il avait menacés de les égorger. Tout le monde en avait bien ri, comme s'il en aurait été capable avec son corps si frêle…

Gabriel ne semblait pas réagir plus que d'habitude à la provocation. À force, il avait appris à retenir ses larmes et à ignorer ses camarades, ou du moins c’était ainsi que Léna voyait les choses. Quand des élèves l'embêtaient, il se contentait de les regarder d'un air impassible, comme s'il ne les voyait pas vraiment. Il avait commencé à ne plus porter que du noir, à garder les yeux baissés, à longer les murs, comme si ça allait le faire oublier. Effectivement, il avait fini par devenir presque transparent. Il paraissait en fait si insensible, si peu humain, que les autres avaient encore moins de scrupule à lui faire des choses qui auraient poussé au désespoir n'importe lequel d'entre eux.

L'Art de TuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant