Sixte mineure (4)

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Le brunch terminé, Woo-jae se lève pour aider Sophia à débarrasser la table. Quand il revient d'avoir été porter la pile d'assiettes dans la cuisine, Elian lui prend la main.
— Tu veux venir digérer avec nous dans le jardin ?
Woo-jae essaie de lui sourire, au moins un peu.
— Je suis fatigué... Je crois que je vais aller me reposer dans ma chambre, si ça ne t'ennuie pas...

Il sait que son ami n'est sans doute pas dupe et il garde les yeux baissés pour ne pas affronter le regard bleu de l'Américano-coréen.
— Repose-toi bien, alors, dit seulement Elian. Je t'enverrai de temps en temps un message pour savoir si ça va.
Toujours sans relever le front, l'ancien visual acquiesce avant de s'enfuir vers le premier étage.

🎻🎻🎻🎻

Dans sa chambre, Woo-jae s'étend sur son lit, le dos de la main sur ses paupières fermées. Il se sent à la fois si lourd et si vide.

La matinée s'est déjà écoulée. Ces heures-là ont filé un peu plus vite. Cela lui permettra d'endurer la solitude et le silence jusqu'au dîner avec plus de facilité, puisqu'il ne s'agit aujourd'hui que d'une demi-journée.

Il veut offrir du répit à Elian, sinon toujours avec lui. Briser son contrat d'esclave a rendu sa vie à son ami : il ne souhaite pas remplacer SYW Entertainment dans le rôle de la laisse ou du collier. L'Américano-coréen a le droit de faire des choses pour lui-même, sans devoir amputer sur ce qui l'intéresse pour accommoder son meilleur ami. Sinon, ce n'est pas juste : c'est faire payer l'ancien chanteur pour avoir eu la gentillesse de l'inviter chez lui. C'est pareil pour madame Hayes et Reign. Sa présence dans leur maison les pousse tous à s'y adapter, il le voit bien, alors que cela devrait être l'inverse.

Sa reconnaissance pour ce matin de compagnie qui, il s'en doute, sera réitéré chaque jour, peut passer par là. Au moins pour les après-midis, il peut prendre sur lui, se retirer afin de leur rendre leur vie.

🎻🎻🎻🎻

Woo-jae s'est glissé sous sa couette. Cela ne fait qu'un quart d'heure, mais lui semble au moins dix fois plus long — lorsque son téléphone vibre. Il le récupère à côté de son oreiller en pensant qu'il s'agit de son meilleur ami qui, fidèle à ce qu'il a annoncé, vérifie s'il va bien. 

Ce n'est cependant pas le cas : le message provient de madame Yeh, la sœur de madame Hayes. Elle doit encore avoir des insomnies et elle en profite pour lui envoyer des photos de Makki en plein milieu de la nuit coréenne.

Le petit chat manque énormément au jeune homme, qui aimerait le sentir ronronner contre son torse, surtout dans ce genre d'instant. Ne plus pouvoir enfouir son nez et ses doigts dans la fourrure noire et blanche quand il est triste est une consolation en moins. Mais il est préférable pour Makki d'être resté là-bas — Woo-jae sourit en parcourant les clichés du félin couché les quatre fers en l'air sur la couette rayée.

Il répond ensuite avec politesse et reconnaissance à la tante d'Elian, qui a la gentillesse de lui faire parvenir des photos du chat de manière régulière sur son nouveau numéro de téléphone américain. Ils sont si prévenants, si généreux avec lui, tous, et ce sans en avoir la moindre obligation.

L'ancien visual dépose à nouveau le portable sur le matelas, puis rabat la couette par-dessus sa tête parce qu'il sent qu'il tremble.

Est-ce qu'il a le droit de se sentir si mal alors qu'ils font tout ça pour lui ? Est-ce que leurs attentions ne devraient pas le combler, au lieu de disparaître dans le trou noir qu'il semble avoir au fond de lui ? Cet espace impitoyable absorbe tout sans jamais rien rendre, sans laisser non plus de traces qui prouvent que ce qui s'y est perdu a existé. Chaque geste reste gravé dans sa mémoire, mais il se sent toujours aussi vide, malgré leurs efforts.

Accord de sixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant