Tierce : Woo-jae Kyeong (1)

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Août, des années plus tard

Woo-jae ne se rappelle rien du vol Paris-Séoul. Pour une fois à côté du hublot, ses lunettes noires sur le nez, une casquette sur la tête et un masque sur la bouche, il a passé le trajet intégralement focalisé sur le futur. Pendant près de douze heures, il a vécu dans sa tête des dizaines et des dizaines d'atterrissages, de débarquements, de trajets en van, de retours à l'appartement. Il a imaginé de multiples variantes, mais son esprit n'a voulu croire que les histoires qui se terminaient mal. Comment pourraient-elles de toute façon finir autrement, maintenant que les autres se sont rendu compte que le nom de famille sur son passeport n'était pas celui qu'il affirmait ?

Il a trahi ses amis ; il leur a menti jour après jour comme il a menti aux fans et à la presse. Bien sûr, Sung-ki a fait pareil peu de temps auparavant. Mais le danseur a révélé la vérité à ses compagnons de son plein gré, et elle n'a dévoilé que le fait qu'il était gay. À ce détail près, leur ami est toujours lui-même. Woo-jae, lui, n'a pas simplement caché une orientation sexuelle ; il a caché tout de lui — son identité, son apparence, son passé. Comment faire plus total et plus faux ?

À l'aéroport, les hurlements des Summers enclenchent son pilote automatique sans même qu'il doive y songer. Sauver ce qui doit toujours l'être — la façade publique. C'est sa culture, son éducation, sa nature, sa fonction. Il sourit parce que malgré le masque, cela se remarque à ses pommettes. Tend une main qu'il reprend si rapidement à chacune qu'elles ne peuvent la sentir trembler. Il n'écoute pas ce que les jeunes filles disent entre les moments où elles crient son nom. Comme un disque rayé, il répond qu'il les aime, qu'il ne serait rien sans elles, qu'il les remercie d'être là, qu'il voudrait rester à leurs côtés et qu'il est désolé de devoir y aller.

On agrippe son bras, et il se laisse faire. Un appareil photo lui heurte la mâchoire ; il sent son t-shirt de couturier se déchirer là où une sasaeng tire, le long de son flanc où des ongles écorchent sa peau. Si la foule l'avalait et le mettait en pièces pour se le partager, il ne résisterait pas ; après tout, celui qu'il est aujourd'hui, à peu de chose près, a été créé pour être leur jouet.

Manager Kim intervient d'une traction brutale sur son épaule. Il fait reculer le visual ; les caméras des fans filment. Woo-jae sait qu'il devra justifier l'action de son manager le lendemain face à une marée de messages insurgés, qui s'indignent et craignent des mauvais traitements.

Il se laisse pousser par son manager comme il s'est laissé tirer par les Summers — de toute façon, son esprit l'a précédé à l'appartement. 

Que va-t-il pouvoir dire à ses amis ? Comment vont-ils se reparler ? L'un d'entre eux va-t-il exiger des explications ? Doit-il en donner le premier ? 

Il voudrait commencer par s'excuser, quoi qu'il advienne, mais comment avoir l'air sincère après de tels mensonges, même s'il l'est ? Il ne sait pas gérer les conflits, a une peur panique de décevoir, et pourtant, tout est là aujourd'hui.

Devant les portes automatiques, ses trois compagnons attendent. Woo-jae baisse la tête ; ses verres fumés ne font pas un écran suffisant entre leurs regards et le sien. Sa gorge est si serrée que même un filet d'air passe difficilement dans sa trachée. Face à ses amis, il se sent écorché, mis à nu au-delà de sa peau, jusqu'à ce que l'on n'expose pas.

Lorsque Manager Kim et lui arrivent au niveau du reste du groupe, Kyung-hwan dit quelques mots, mais le visual ne les comprend pas. Leur manager renchérit, et tout le monde se met en mouvement pour rejoindre le parking. Dans leur dos, derrière un cordon de sécurité, les Summers chantent à présent leur dernier single en chœur pour les accompagner. Comme d'habitude, Elian prend la main de Woo-jae dans la sienne.

Accord de sixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant