L'écharpe couleur perle

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Torrance

— Oh, non ! Mérou est encore allé fouiller dans le dressing ! s'exclame Reign en bondissant sur ses pieds nus. Ce petit filou ne comprend pas du tout le concept du « les vêtements ne sont pas des jouets » !
Sous les yeux de Woo-jae, assis sur le sol de la chambre à côté d'un plateau de jeu, la jeune femme se précipite vers le chat. Sa queue de cheval, ses boucles d'oreilles, sa robe en tulle — tout vole comme les voilages devant la fenêtre, ouverte sur le début de l'été.

Surpris par le bond de sa maîtresse, le Bengal gris détale de plus belle sur ses trois pattes, entraînant dans son sillage la longue bande de tissu couleur perle qu'il n'a pas lâchée. Reign est cependant plus rapide et parvient à attraper le bout de l'écharpe avant que le félin n'ait disparu sur le palier. Elle tire un peu ; Mérou lâche sa « proie ».

— Je ne sais pas si on parviendra à lui faire perdre cette vilaine habitude, soupire l'Américano-coréenne en revenant vers son compagnon au centre de la pièce.
— Ce n'est pas grave, répond Woo-jae.
— Ce serait quand même dommage qu'il fasse des trous dans tous tes beaux vêtements !
L'ancien idol laisserait les chats lui grimper sur la tête s'ils le voulaient. Il ne se fâche jamais contre eux, ne leur interdit rien, quitte à sacrifier son propre confort ou ses possessions.

Tout en se rasseyant en tailleur à côté du plateau de Risk, Reign tend l'écharpe à Woo-jae — avant de se raviser, étonnée.
— On dirait celle que j'ai perdue à Coral Gables, il y a des années de cela !
Elle ramène l'étoffe à elle pour l'examiner plus en détail, puis lève des yeux intrigués vers son compagnon.
— C'est elle, je la reconnais. Tu l'avais depuis tout ce temps ?
— Oui, répond le Coréen avec douceur.
— Oh ?
Reign scrute le beau visage lisse d'un regard sans jugement, mais n'y déchiffre aucune explication.

Elle hésite une seconde, mais se lance tout de même :
— Je peux te demander pour quelle raison ?
Dans la foulée, elle lui sourit.
— Tu ne réponds pas si tu n'en as pas envie. J'ai vécu toutes ces années sans penser à elle, et en plus, elle est entre de bonnes mains.
Lorsqu'elle est tombée amoureuse, il gardait déjà tout pour lui. Elle l'aime toujours de la même façon, ou davantage encore, alors ça n'a pas plus d'importance qu'hier aujourd'hui ; c'est lui qui choisit.

Woo-jae sourit aussi. Sans doute — la jeune femme l'espère — parce qu'il sait que c'est vrai, que les questions s'arrêteront ici.

Malgré tout, la voix de l'ancien idol reprend :
— Je te demande pardon de te l'avoir prise. Je crois qu'elle était... rassurante pour moi ?
Les yeux noirs montent vers le plafond ; ils ne sont plus lestés du même fardeau qu'à Miami, quand ils étaient gris.
— Elle était une promesse... La promesse que la vrille n'était pas infinie.

Reign qui, au fil des années, a entraîné son oreille aux moindres variations de cette voix, entend le craquement d'une fêlure que le temps n'a pas réparée. Alors, elle comprend : l'écharpe couleur perle était pour l'ancien visual ce que la lame du cutter était pour son frère.

Bien sûr, elle sait depuis longtemps que tout n'a sûrement tenu qu'à un fil. Pourtant, l'idée que c'est avec quelque chose qui lui appartenait que Woo-jae aurait pu partir est un choc qui lui frappe le cœur.

L'Américano-coréenne avale sa salive. C'est une façon symbolique de faire redescendre la tristesse d'où celle-ci n'a en réalité pas de raison de sortir. Elle ne doit pas penser qu'elle aurait pu le perdre, pas penser qu'elle pourrait le perdre : il est là, et ce n'est qu'une joie.

Tandis que Mérou et Apple pénètrent dans la chambre d'un pas nonchalant, Reign inspire, puis se courbe au-dessus du plateau de jeu.
— Je te la rends, si elle t'aide.
Woo-jae accepte l'écharpe à deux mains.
— Merci.
Il tend le tissu entre ses doigts ; la soie chatoie un peu sous son regard sérieux.

Il relève ce dernier vers sa compagne après près d'une minute.
— Mais je crois... que je n'en ai plus besoin, maintenant ?
L'ancien idol sourit à nouveau.

Il se penche à son tour par-dessus la carte du monde, les bras tendus. Il fait passer l'écharpe au-delà de la tête de Reign, puis la noue autour de son cou.

Avant qu'il ne puisse reculer à sa place, la jeune femme mime son mouvement en nouant ses poignets dans sa nuque.

Elle ne serre pas ; très vite, elle se laisse simplement tomber sur le côté et entraîne Woo-jae avec elle dans sa chute.

Ils écrasent les fantassins et les canons, qui se dispersent autour d'eux, et ils rient.

Accord de sixteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant