Humaine

L'interdit

L'après-midi passe à la vitesse de la lenteur. Je n'arrive à rien, du coup je m'énerve. Je décide d'abandonner avant de casser la table, ou pire: d'éclater la tronche à une de mes camarades qui me regarde comme si j'étais E.T en personne.

Ma marque sur ma cuisse commence à refroidir, contrairement à celle sur ma clavicule qui se réchauffe. En fait, on dirait des thermostats quoi. Abusé. 

Le cours fini, je sors en trombe de la salle et m'enfuis dans la bibliothèque. La seule chose qui puisse me permettre de ne pas péter les plombs et de me calmer est la lecture.

J'entre dans la bibliothèque, seule. Je ne sais pas s'il y a des genres d'heures de pointe ici, mais j'ai l'impression d'être l'une des seules à venir. Enfin bon, je ne vais pas m'en plaindre, j'ai besoin de calme et de silence.

A peine ai-je pris un livre de science-fiction que Séréna débarque en silence, je ne la vois pas mais je la sens. Je m'assois à une table. Elle se poste derrière moi et pose délicatement ses mains sur mes épaules. Je ne dis rien. Je ne veux pas parler. Et elle le comprend parce qu'elle non plus ne dit rien.

On laisse le silence nous envelopper, je n'ai même pas ouvert le livre que je viens de prendre. Je sens que Séréna veut me dire quelque chose. Et elle n'hésite pas à le faire:

- Tu sais, ce n'est pas une honte de ne pas y arriver tout de suite.

Je ne réponds rien. Pour elle, non, ce n'en est pas une, mais pour moi, si. Entourée de vampires, il y a toujours eu cet esprit de compétition. Je n'étais pas la meilleure, loin de là, mais je mettais ça sur le fait que je n'étais qu'humaine. 

Entourée de mes semblables maintenant, j'ai honte de ne pas arriver à faire ce que je suis censée réussir. Je n'ai appris pour ma nature il y a seulement quelques heures, mais pour moi, c'est un échec hallucinant. Je ne veux pas être la meilleure, loin de là, mais réussir suffisamment pour faire taire ces pouffiasses

- Donne-moi des cours particuliers, s'il-te-plaît.

- Non.

Sa réponse me surprend tellement que je me retourne pour la regarder droit dans les yeux. Elle est terriblement sérieuse, les sourcils légèrement froncés, des plis sur son front lisse.

- Pourquoi?

- Les sorts que nous apprenons peuvent être vraiment dangereux. C'est interdit de s'entraîner sans la présence d'une professeure.

- Mais je ne veux pas apprendre les sorts dangereux tout de suite! Juste de quoi éveiller mon aura et ma magie!

Elle ne répond rien, se contentant de plonger ses yeux gris dans les miens. Je perçois son débat intérieur, j'espère de tout coeur qu'elle va dire oui.

J'abats ma dernière carte:

- Je dois pouvoir me défendre contre ma famille. Si je n'arrive pas à débloquer mon aura, comment vais-je faire?

- Nous te protégerons en attendant.

- Mais Séréna, je... je ne supporte pas attendre sur les autres. Et si Hannah se décidait à vous faire du mal? Je ne pourrais jamais intervenir et ça me rendrait malade! 

Elle tord la bouche en une petite grimace. Je me retourne et regarde la couverture vert émeraude du livre, déçue qu'elle ne veuille pas m'aider.

- Ecoute... Je peux demander aux professeures de te donner des cours particuliers. Mais je ne sais pas ce qu'elles vont en dire...

- Merci. 

J'aimerais la prendre dans mes bras, mais je n'y arrive toujours pas. Alors je me contente de poser mes mains sur les siennes et de les serrer.

- Enfin... rien ne nous empêche de le faire en dehors de l'école...

Je me retourne et me lève pour lui faire face. Son regard pétille de malice, un sourire rusé sur les lèvres.

- Comment ça? je demande, mi-joyeuse mi-intriguée.

- La directrice et les profs sont responsables de nous dans l'enceinte de l'école. Pas à l'extérieur. Et ce week-end, tu viens chez nous non?

- Si ça ne vous dérange pas.

- Ouh la, absolument pas! rit-elle. Crois-moi je les ai tous saoulés en leur parlant de toi, maintenant ils n'ont qu'une hâte, c'est que je te présente enfin! Enfin maintenant, plus que ma mère mais...

- Tes soeurs n'ont pas trouvé leur âme-soeur?

- Non. Ambre est pressée, elle dit que c'est pour bientôt, mais Chloé s'en fiche un peu. Elle tient à sa liberté et elle dit que si elle a une âme-soeur, ça va l'empêcher de faire ce qu'elle veut.

Séréna lève les yeux au plafond avec un sourire.

- Donc on pourra t'apprendre les cours du niveau Graine, pour que tu gagnes du temps. J'ai gardé mes cours et les tests, je te les ferai passer.

- Des tests sur quoi ?

- Je te l'avais dit lundi au self. Je vais évaluer ta magie, tes capacités morales et physiques. Ce sera souvent des QCM mais pour le physique, tu vas devoir libérer ton aura.

Ah. Super, c'est justement ce que je n'arrive pas à faire. Mais je n'ai pas le droit de faire du sarcasme. Séréna va m'aider à me libérer, et j'avoue que je suis assez curieuse de les faire, ces fameux tests.

- Ma mère pourra nous aider. Et mes soeurs, bah ce sont mes soeurs, elles t'aiment déjà. Alors tu as tout notre soutien. 

- Merci infiniment.

C'est tout ce que je peux dire. Je n'ai pas les mots. Ces mots m'ont touchée bien plus que je ne pourrai jamais le montrer mais au fond de moi, je suis heureuse d'avoir percuté Séréna à la rentrée et d'avoir ramassé ses papiers. Sans ça, qui sait quand je l'aurais rencontrée!

Je vais ranger le livre, que je n'ai même pas ouvert, et suit mon amie à l'extérieur. 

Elle me fait signe de ne rien dire de cette discussion avec un clin d'oeil, que je lui rends. 

- Je vois que tu n'aimes pas trop le contact, me dit-elle pour changer de sujet, je sais que je suis très tactile, peut-être même un peu trop, alors si tu veux que j'arrête...

- Non, t'inquiète, je réponds, complètement honnête. Venant de certaines personnes, ça va. Mais de moi-même, je ne vais pas te toucher.

Puis, parce que j'ai peur de l'avoir blessée:

- Mais ça va s'arranger avec le temps. C'est juste que j'ai grandi seule en fait, je n'ai pas l'habitude des marques d'affection. 

- Tu en avais si peu de la part de tes parents?

- Je n'en ai quasi jamais eu. 

- Même avant qu'il sachent que tu n'es pas une vampire?

- Les vampires ne sont pas très démonstratifs par nature. Hannah et Alicia n'en ont quasiment jamais eu non plus, même si c'était plus que moi.

- Je vois. Remarque, ça ne m'étonne pas, dit-elle, et son ton se fait considérablement plus dur. La dernière fois qu'ils l'ont fait, ils t'ont fait ces horribles cicatrices.

Je hausse les épaules, mais au fond, toute cette histoire me blesse encore.

- Tu sais quoi? me fait-elle soudain, son air froid envolé. Ce soir, on ne pense pas à ça. On va s'éclater avec Juliette et Key, d'acc?

- Qu'est-ce qu'on va faire ?

Je me souviens brusquement qu'il faut que je lui parle de ma seconde marque. Et du fait que la première ait définitivement viré au bleu. Mais bon. Pas ce soir.

- On va apprendre à se connaître, discuter un peu, on va parler de tout ce que tu ne sais pas encore!

Allez. Pourquoi pas?