Chapitre 19- Onduler

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La pluie passée avait gâtée les sols. Kuro pouvait parfois voir les flaques d'eau s'élever dans les airs derrière sa vitre... pour aussitôt s'évanouir hors de sa portée. Ces éclaboussures momentanées faisaient l'effet d'un jet de paillettes dans la figure : le temps se rallongeait par vagues puis le mouvement de la voiture rattrapait les secondes en suspens. Shisaki l'avait bien dit : le trajet durait plus longtemps que d'habitude.

Alors que le garçonnet se dédiait aux nuées de gouttes brillantes soulevées par les roues de la voiture, le fantôme se mordait les lèvres : la fille extravertie avait l'habitude bavarde et rester discrète n'était pas chose facile. Elle entreprenait tout ce qui lui passait pas la tête sans s'imposer de limites. Parce qu'elle se considérait libre. Mais vivre aux côtés de Kuro avait essoufflé ses ambitions à peine savourées.

Les légers accords de la guitare sèche diffusés dans le véhicule meublaient l'espace. La conductrice les écoutaient avec insouciance, le fils n'y était pas sensible et Nil encaissait ses sons sur une pile de frustration : Son ami l'ignorait volontairement, et malgré ses bonnes intentions, sa stratégie déplaisait beaucoup. Sous l'influence de l'émotion, un poids écrasait les épaules de la petite. Elle devenait, en dépits de son immatérialité, une digue retenant le courant marin qui épargnait la ville des inondations. Plutôt que d'être rigide, l'enfant aurait préféré se courber à l'image des hauts épis de blé qui peuplait la plaine à perte de vue.

Le paysage formait une mer d'or que les bourrasques de vent faisaient onduler. Ainsi, le souffle invisible dévoilait les courbes de son corps, en caressant les céréales prêtes à être récoltées. Cette illusion laissa rapidement place à des traces d'activité humaine sans charme. Selon la jeune fille, le voyage serait très bref, sentant qu'ils s'approchaient de leur destination finale.

Longuement tiraillé, Kuro finit par se jeter à l'eau, avant que l'attention de sa mère se disperse :

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Longuement tiraillé, Kuro finit par se jeter à l'eau, avant que l'attention de sa mère se disperse :

« Man', pou'quoi tu 'emplace papa par monsieu' à lunettes ? Tu l'aimes p'us ? »

« Bien-sûr que si mon chéri, mais il arrive parfois que l'on aime plusieurs personnes en même temps. Depuis que Gaken est là pour nous, je sais que papa est rassuré là-haut. »

Celui qu'elle évoqua n'apparaissait que dans les mauvaises expériences du petit. Gaken n'inspirait certainement pas confiance. L'âme de son père devait au contraire se faire un sang d'encre. Peut-être que lui aussi était un fantôme ?

"Je dois respecter mes ancêtres !" Se convainquit Kuro, craignant de provoquer des entités divines par une pensée de travers. Cela ne suffit pas à effacer son désarroi...

« Et bah moi j'veux pas avoi' plusieu' papas ! Le monsieu' il est pas genti' avec moi ! » De la colère s'empara de ses mots qui blessèrent inévitablement la veuve. Kuro s'en voulait d'être aussi impitoyable face à la conductrice désemparée. Elle faisait de son mieux pour prendre soin de lui et il en avait parfaitement conscience. Néanmoins, quand il parlait de Gaken : c'était plus fort que tout, l'enfant éprouvait une méfiance démesurée qu'il ne pouvait justifier.

Anamaewa ~The sea's spell~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant