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Nous terminons de noter toutes nos idées puis nous commençons à parler de tout et de rien. Je vais devoir disparaître d'ici peu, autant profiter de cette dernière conversation avec la seule personne en qui j'ai confiance. Nous finissons par nous séparer, presque à contrecœur. Ne t'en fais pas, notre distance ne sera pas éternelle, moi-même je ne pourrais le supporter. Je repars dans la rue, toujours déguisée de ma perruque, de mes lentilles et de mon maquillage, et recommence à naviguer au milieu du réseau de transports en commun parisien. Je finis par ressortir non loin d'un centre commercial où je ne suis jamais allée par le passé. Je n'avais pas l'habitude à l'origine de me rendre dans ce genre de structure mais si je ne veux pas me faire repérer, il faut que je change mes habitudes. Je rentre dans un magasin précis et prend la première boîte qui m'est intéressante. J'achète deux trois autres trucs sans importance pour qu'on ne me soupçonne pas. Je me dirige ensuite vers d'autres magasins et achète tout ce dont j'ai besoin. J'y passe une petite fortune, je l'avoue mais la sécurité n'a pas de prix. Tout payer en liquide, pour ne pas laisser de traces. Après deux bonnes heures de shopping, je retourne à mon appartement, probablement pour la dernière fois. Je sors de mes sacs ce dont j'ai besoin et me dirige vers la salle de bain. J'attrape plusieurs vieilles serviettes de couleur foncée. J'en profite pour prendre les deux ou trois petites choses qui me seront fortement utiles. Je retourne ensuite dans mon salon où je m'installe non loin de mes sacs de courses. Je couvre la table devant moi avec l'une des serviettes. J'enfile ensuite un vieux tee-shirt et recouvre mes épaules d'une autre serviette pour l'accrocher devant moi à l'aide d'une pince à cheveux. Je démêle mes cheveux avec la brosse récupérée dans la salle de bain plus tôt. J'attache mes cheveux en quatre chignons bâclés. Je prends la boîte achetée dans l'après-midi, l'ouvre, enfile les deux gants en plastique qu'elle contient et suit les instructions écrites. Deux produits se retrouvent mélangés dans un bol devant moi, formant une mixture pâle. J'applique méticuleusement ce mélange sur mes cheveux. Une fois cela finit et un bonnet de bain couvrant le tout, je démarre à l'aide de mon téléphone un minuteur. Pour patienter avant la fin de celui-ci, je vais sur mon ordinateur et me perds sur Internet, si bien que je n'arrive pas à savoir comment j'ai réussi à tomber sur cette vidéo de deux bébés jumeaux qui essaient de parler et qui, malgré leur discours incompréhensible, ont l'air de se comprendre. La magie des jumeaux peut-être. Mon esprit se balade de vidéo en vidéo, toutes plus étranges et incompréhensible que la précédente. Mon téléphone se met à sonner, le temps est enfin écoulé. Je retourne dans ma salle de bain, retire le bonnet et rince ma tête. Un liquide clair et opaque coule dans l'évier. C'était prévu ça ? Je n'ai vraiment pas envie de tout avoir à recommencer. Un site trouvé au hasard sur mon téléphone m'indique que oui, c'est normal alors je continue. Plus d'une heure après les avoir rincés, je me mets sous la douche et lave ma chevelure avec les produits mis à disposition dans la boîte. Cela fait, je sèche rapidement mes cheveux. Pour la première fois de ma vie, lorsque je me regarde nue dans le miroir, c'est une chevelure blonde qui tombe sur mes épaules. Cela plus les yeux verts, j'avoue encore moins me reconnaître qu'habituellement. Cette teinture est une réussite. Plus besoin de perruque qui ne fait pas totalement naturelle, là c'est du permanent. Je ne reverrais mon brun de naissance que lorsque mes cheveux pousseront. Mais ce n'est pas fini. Je m'approche du miroir et prends des ciseaux dans le meublele plus proche. J'attache mes cheveux en une couette basse de sorte que l'élastique arrive au niveau du bas de mon cou. Les lames des ciseaux glissent juste au-dessus de ce petit objet puis un poids semble s'écraser sur le sol. Je me retourne et ramasse la queue de cheval fraichement découpée et la jette à la poubelle. Je me tourne de nouveau vers le miroir et constate le semblant de carré plongeant blond qui orne à présent mon visage. Le résultat final est imparfait, la coloration n'est pas égale et certaines zones sont plus longues que d'autres. Evidemment, ce n'est pas du travail de professionnel, faire mieux aurait été difficile, si ce n'est impossible. L'essentiel est là. Mes cheveux sont lisses car j'ai pris grand soin de les sécher comme il faut, mais une fois qu'ils auront retrouvé leurs boucles naturelles qui seront d'autant plus accentuées par l'allégement de ma chevelure, tous ces défauts se verront à peine dans la masse. Cela fait extrêmement bizarre de me voir avec ces nouveaux cheveux. Je ne comptais pas changer si radicalement un jour, j'ai toujours aimé ma chevelure naturelle. Je regarde la perruque posée sur un tabouret dans un coin de la salle. Ce sera toujours plus pratique que ça, et moins artificiel. Dehors il fait sombre. Mon ventre me rappelle les obligations de ma condition. Je n'ai pas envie d'aller chasser mais le sang qu'il reste dans mon frigo n'a plus aucun goût ni aucune qualité nutritive depuis le temps qu'il y traine. Je peins de nouveau mon visage de tout ce maquillage qui le camoufle et couvre mes yeux de leurs lentilles marrons. De nuit, même sans tout cet attirail on ne me reconnaîtrait pas, mais je ne sais pas quand je vais revenir, ni-même si je vais revenir. Je prends un sac à dos et mets tout ce dont je pourrais avoir besoin dedans. Pas question d'encore me balader avec cette valise encombrante. J'y place tout ce qui me sert à mon camouflage, mon thermos vide et quelques vêtements achetés dans la journée, laissant de côté uniquement une tenue que j'enfile immédiatement. Je suis allée plus loin dans le déguisement, j'ai totalement changé de style vestimentaire pour que je passe vraiment pour une personne différente. Si j'avais plus de courage, je ferais probablement de la chirurgie esthétique, mais les résultats sont souvent beaucoup trop effrayants. En fouillant mon appartement, je me rends comptes qu'il me reste trente euros en liquide. Largement suffisant pour ce dont j'ai besoin. Mon alimentation se constituant uniquement de sang, je n'ai pas de nourriture à acheter. Je ne pourrais cependant pas pour si peu dormir sous un véritable toit mais je ne compte pas rester dans cette ville longtemps. Je pose mon sac à dos sur mes épaules et m'apprête à partir. Au moment où je traverse le salon, une pensée surgit en moi et mon regard se porte automatiquement sur mon ordinateur. Une délicieuse odeur vient me chatouiller les narines. Du sang humain. Non ! Pas maintenant ! J'ai faim, ce n'est pas le moment de craquer ! Non,non, non ! Calme-toi Kim ! Ce n'est que la voisine qui rentre de son cours de chant ! C'est parce que tu as faim que son parfum t'attire, ça ira mieux une fois que tu auras mangé ! Je me revois dans la douleur d'il y a quelques semaines, tellement accro et affamée que j'en étais arrivée à m'enfermer moi-même et à ordonner à Olivier de me surveiller constamment. Jamais ça n'arrivera de nouveau ! Jamais ! Je suis seule, si cela doit arriver de nouveau, je suis fichue. Mais ça n'arrivera pas ! Un claquement de porte et mon corps semble se libérer de ce désir au bord de l'incontrôlable. Il faut vraiment que je mange. Mes pensées initiales me reviennent et une vague de détermination me gagne peu à peu. Ce que je compte faire est très dangereux, pour moi et tout ceux qui me côtoie, c'est pour cette raison que j'essaie de couper les ponts avec toutes les personnes qui me sont chères. Je dois le faire, et tout faire pour protéger les personnes auxquelles je tiens. Et je dois le faire maintenant car je ne le pourrais plus une fois dehors. Je n'en sortirais pas indemne c'est sûr, mais il le faut. Je dépose mon sac devant la porte et m'installe devant mon ordinateur. Après quelques minutes à taper sur mon clavier, j'éteins de nouveau la machine. Le monde va radicalement changer d'ici peu. Je reprends mon sac et sors pour de bon. Je ferme la porte de mon appartement. L'odeur de ma douce voisine me revient quelque peu, je me précipite vers la sortie, fuyant plus ma peur que l'odeur elle-même. L'air extérieur ne me soulage que quelques instants avant de lui aussi charger mon esprit de désirs interdits. Je tente d'ignorer cette invasion et me dirige vers mon lieu de chasse habituel. Je ne me rends compte de ma vitesse que lorsque j'arrive essoufflée dans ce parc que j'ai tant fréquenté. Je croque le premier animal passant dans les parages tout en faisant attention d'être à l'abri des regards indiscrets. A cette heure si avancée, même les prostitués sont parties dormir mais on n'est jamais à l'abri d'un imprévu. Le goût du liquide se posant sur ma langue me calme immédiatement. Une fois l'animal vidé, je me sens de nouveau d'attaque pour affronter toutes les difficultés de ma vie. Un autre rat passe dans les parages, je le chasse également mais au lieu de percer sa peau de mes canines, je m'assois par terre. Je pose mon sac à côté de moi sans lâcher l'animal encore vivant et se débattant pour se libérer. Je sors mon thermos et le place entre mes jambes. L'animal faible se défend comme il peut, m'apportant un peu de douleur dans ma main gauche où il se trouve. Je sors les griffes de ma main droite et les approche de son cou, juste au-dessus du récipient. Je déteste faire ça. Boire le sang d'un animal d'accoutumé est déjà horrible mais devoir le regarder en même temps est une épreuve presque insurmontable. Allez Kim, tu en as besoin, tu le sais ! Et ce n'est pas la première fois que tu le fais, tu as l'habitude à force. Je coupe d'un seul coup la tête de l'animal puis le plonge dans mon thermos afin que le sang qui en sort aille directement dedans. Je m'assure qu'il soit complètement vidé de son sang en lui faisant des coupures par-ci par-là. Une fois cela fini, je jette le cadavre —si cela peut encore s'appeler ainsi, ça n'y ressemble plus vraiment à présent— le plus loin possible de moi. Il ne me reste plus que ces mains pleines de sang et de culpabilité. Je trouve une flaque d'eau non-loin où je les rince rapidement, puis repars. 

Prochaine partie : vendredi 24 janvier

La Royauté du Rubis 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant