3- ILAN

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Nerveux, j'ouvre la porte de chez moi, et dépose mon sac de sport au pied de l'escalier.

- Papa... je suis rentré.

Mon rythme cardiaque s'accélère et je prie intérieurement pour que mon père soit absent. Cela serait tellement plus simple. Je n'aurais pas à faire semblant. Je pourrais être vraiment moi pendant un moment. Un moment court et insignifiant, qui compte tant pour moi...

- Ilan, mon chéri ! Viens aider ta vieille grand-mère avec la tablette, s'il te plaît...

Je respire en comprenant que mon père n'est pas rentré.

- Grand-mère, il faut que tu rentres le code pour la déverrouiller, expliquai-je lentement pour qu'elle comprenne

Elle plisse les yeux, et me fixe comme si je venais de lui poser une question existentielle. Elle l'a encore oublié...

- Je ne sais plus ce que c'est... m'avoue t-elle à mi-voix

J'enlève la coque de la tablette et saisis le petit papier jaune sur lequel j'ai inscrit ses mots de passe importants.

- Tu ne te souviens pas ? Je l'ai inscrit sur ce papier et je l'ai glissé dans la coque de la tablette. Comme ça, dès que tu oublies un mot de passe, tu as juste à le chercher ici, grand-mère.

Elle hoche la tête, et s'excuse une dizaine de fois en disant qu'elle perd la tête, et qu'elle est stupide.

- Non, tu n'es pas stupide. Arrête de dire ça. Seulement, il faut que tu acceptes l'idée que tu es malade, grand-mère. Et que tu ne peux plus te comporter comme une enfant.

Ma grand-mère est âgée de quatre-vingt-cinq ans et elle est atteinte d'alzheimer depuis environ un an ans. Depuis que grand-père nous a quitté, en réalité. Au début elle oubliait des choses insignifiantes, comme le lait au super marché, ou les clés de la boîte aux lettres parmi toutes les autres. Puis cela s'est dégradé, parfois elle demande ce qu'elle fait là, qui nous sommes, et où est grand-père. Elle demande à papa où est partie maman, et où est Charlotte. Comme si tout avait disparu de sa mémoire. Comme si rien n'avait jamais existé.

La crise cardiaque de grand-père, l'an dernier, l'accident de voiture de maman qui lui a coûté la vie lorsque j'avais sept ans, et le départ de ma grande-sœur Charlotte — que tout le monde surnomme Charlie — à l'université.

Cela m'effraie tellement. J'ai peur qu'un jour elle ne se souvienne plus de moi. De notre famille. De rien du tout.

- Je veux parler à Charlie.

- Peut-être qu'elle est en cours tu sais, elle termine souvent tard maintenant qu'elle est à l'université.

Ma grand-mère hausse les épaules comme si cela lui importait peu, et commence à appeler ma sœur en FaceTime.

La tignasse blonde de ma sœur apparaît sur l'écran, et bientôt elle nous dévoile ses yeux bleus, fatigués et cernés. Elle est partie habiter à New York, à la rentrée. Elle a été acceptée à Colombia et a réalisé son rêve. J'avoue que l'idée de me retrouver seul avec mon père et ma grand-mère, sans elle, m'angoissait un peu. Charlie était ma confidente, la mère que je n'avais plus. Et sans elle, je n'y arrive pas.

- Bonjour ma chérie ! Comment vas-tu ? Oh, tu as mauvaise mine... tu es sûre que tu dors bien là-bas ? Tu ne veux toujours pas rentrer à la maison ? s'exclame ma grand-mère

- Bonjour, grand-mère ! Je vais bien, ne t'inquiète pas. Les cours sont juste fatigants et intensifs. L'université c'est... tellement différent du lycée. Mais je veux rester ici, je me plais vraiment et rien ne fera changer d'avis, pas même tes yeux de biches, grand-mère.

ABÎMÉSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant