Chapitre 205 : L'inquiétude d'un dragon

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 À la vue de l'aspect plus que préoccupant du pendentif qui traduisait l'état émotionnel de sa bien-aimée, Shavi avait sauté de son lit et s'était précipité à l'extérieur de sa grotte. Sautant dans le vide, il avait rapidement adopté sa forme originelle de dragon. Cette fois-ci, l'urgence qu'il pressentait ne lui laissait pas d'autre choix que prendre sa véritable taille pour gagner en vitesse.

Ce n'était désormais plus une créature aussi grande qu'un cheval qui volait vers Sendra, mais une bête immense qui créait de véritables bourrasques à chaque battement d'ailes. Sous cette puissante force, les arbres sous lui bougeaient comme en pleine tempête et certains menaçaient presque de se déraciner. Heureusement, chacun d'entre eux n'avait qu'à subir un seul coup de vent, le suivant se faisant déjà bien plus loin.

Dans les airs, Shavi fixait l'horizon. Si le pendentif qu'il avait permettait de retranscrire les émotions de l'autre porteur, le dragon n'avait jamais parlé de sa seconde utilité. Celui-ci agissait comme une boussole qui menait toujours à l'autre bijou et le sien indiquait qu'il se trouvait droit devant.

En à peine quelques minutes, Shavi avait parcouru presque la totalité du trajet entre les montagnes et Sendra. Les murailles de la ville pointaient d'ailleurs à l'horizon.

S'il était inquiet pour Elyazra, il ne voulait pas non plus créer un vent de panique dans la ville. S'il s'approchait encore sous cette forme, il était certain de faire peur à tout le monde. Pour une approche plus discrète, il opta donc pour sa forme humaine, mais il ne comptait pas non plus faire le reste du trajet à pied.

Alors qu'il chutait, un brouillard noir apparut tout autour de lui et le maintint en l'air tout en le propulsant. Ce n'est qu'arrivé près des portes de la ville qu'il se posa et se mit à courir dans les rues. Les gardes le regardèrent passer avec un air étonné, mais ne tentèrent pas de l'arrêter. Pour eux, il ne devait être qu'un mage excentrique parmi tant d'autres.

Arrivé aux abords d'une place, son pendentif indiqua que l'autre bijou se trouvait juste devant lui. Cependant, il y avait quelque chose d'inhabituel. Une masse impressionnante d'habitants était réunie et regardait dans une même direction. Sur une estrade, plusieurs personnages faisaient face à la foule et, derrière eux, un grand feu brûlait.

— Que se passe-t-il ? questionna le dragon à une personne qui se trouvait tout derrière.

— C'est horrible, se désola l'homme. Ces mages fanatiques ont accusé une jeune femme de faire partie d'un culte qui vénère le dragon des chaînes d'Hara...

— Ne me dites pas que... s'horrifia Shavi.

— Ils l'ont emmenée sur ce bûcher, confirma-t-il. Certains ont essayés de les en empêcher, mais ils ont usé de leurs pouvoirs pour les arrêter. Ils les ont ensuite accusés de faire partie de ce même culte et les ont attachés aussi.

C'était impossible, se dit Shavi en écarquillant les yeux tout en commençant à se rapprocher. Ça n'était qu'une coïncidence, rien de plus. Elyazra devait se trouver au milieu de la foule et son empathie lui avait fait éprouver de la terreur pour ceux qui étaient en train de brûler.

Pourtant, à mesure qu'il avançait, il sentait que son pendentif lui indiquait de continuer tout droit. De plus en plus vite, il s'approcha, n'hésitant pas à bousculer les autres pour se faire une place. Lorsqu'il arriva enfin au premier rang, il remarqua que des mages avaient créé une barrière pour éviter que d'autres personnes n'interviennent.

À part ces fanatiques, il n'y avait plus personne devant lui, mais le pendentif continuait de pointer cette direction, droit sur le bûcher. Tremblant de tous ses membres, Shavi jeta un œil sur la pierre attachée à son cou.

— Non, gémit-il.

Il ne l'avait pas regardé depuis qu'il était sorti de sa grotte et s'était uniquement fié au lien qu'il ressentait pour qu'il le conduise ici. Mais la pierre n'arborait plus la couleur et les vibrations de la terreur. Il n'arborait plus aucune couleur. Il ne vibrait plus. Le pendentif n'était plus rattaché à un être vivant.

— Que ceci serve d'exemple à tous ! s'exclama l'un des mages devant le bûcher.

Alors que la tristesse envahissait le cœur de Shavi et que des larmes coulaient le long de ses joues, il releva la tête vers celui qui parlait.

— Ces personnes avaient pactisé avec le dragon maléfique qui a tué tant d'entre-nous ! Ce genre de créature doit être éradiqué de la surface de ce monde, ou ils finiront par le consumer dans leur soif de destruction ! Tous ceux qui rejoignent ce genre de culte sont des ennemis des autres races et doivent être exterminés comme la vermine qu'ils sont.

Lentement et toujours aussi tremblant, Shavi posa sa main sur la barrière magique qui vola instantanément en éclats. Ce geste surprit les mages qui reculèrent d'un pas tandis que celui au centre se taisait.

Un pas après l'autre, Shavi avança vers l'estrade, les yeux embrumés par les larmes fixant le bûcher.

— Qui es-tu et comment oses-tu nous interrompre ?

— Vous avez... Tué l'amour... De ma vie... haleta-t-il faiblement.

— Quoi ?

— VOUS AVEZ TUÉ L'AMOUR DE MA VIE ! hurla-t-il.

En un instant, le feu du bûcher s'assombrit jusqu'à devenir totalement noir et engouffra les mages les plus proches qui moururent instantanément. Voyant cela, les autres s'empressèrent de s'écarter, mais malgré la distance qu'ils avaient mise avec les flammes surnaturelles, deux d'entre eux subirent tout de même une combustion spontanée qui les tua sur le coup.

Un vent de panique souffla sur les spectateurs impuissants qui se mirent à courir dans l'autre sens tout en criant. L'homme, si fier de ses actes et de son discours, regardait à présent, incrédule, la seule personne qui était restée et qui lui jetait un regard noir, empli de haine et rougi par les larmes.

— Tu es...

— Vous allez tous mourir, décida Shavi avec une respiration soutenue et incontrôlable.

À Sendra, une histoire racontait qu'un dragon noir habitait les montagnes à l'est de la ville et qu'il tuait quiconque osait s'approcher un peu trop près de son antre. Personne ne l'avait jamais vu, mais certains avaient entendu ses grognements tandis que d'autres disaient que des régiments entiers avaient tenté de l'affronter et étaient mort.

En ce jour, Sendra allait faire la connaissance de ce fléau maléfique. En ce jour, un homme désespéré s'était transformé en un gigantesque dragon qui, par sa seule taille, avait écrasé les bâtiments alentours.

En ce jour, habité par une colère noire, la bête avait décidé de sortir de son antre pour raser la ville.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant