Chapitre 203 : Retour rapide

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 Pendant près de deux heures, Elyazra et Shavi étaient restés sur la corniche à discuter autour du panier de fruit. Si les sujets de conversations n'étaient pas ce qu'il y avait de plus intéressant, il n'en restait pas moins que chacun était pendu aux lèvres de l'autre. Pour la première fois depuis des centaines d'années, le dragon se sentait bien en compagnie de quelqu'un. Elle lui parlait de ses plantes et de ses potions tandis qu'il la dévorait des yeux. Il parlait de sa vie simple dans les montagnes pendant qu'elle le regardait avec un large sourire.

Il aurait pu rester des heures à l'écouter ainsi, mais le temps et les contraintes n'étaient pas les mêmes pour l'elfe qui, aux abords de midi, se leva et épousseta sa robe.

— Je dois y aller, se désola-t-elle. Mes clients attendent mes potions et si je ne retourne pas à mon magasin, elles ne seront pas prêtes à leur retour.

Devant ces paroles, Shavi ne sut quoi répondre et resta assis à la regarder. Dans les contes de fées, les dragons se fichaient de tout et enlevaient les princesses quelles que soient leurs obligations. Ce qu'il aurait aimé être ce genre de dragon, se dit-il. Et pourtant, la priver de cela allait la rendre triste et c'était bien la dernière chose qu'il voulait. Aucune larme ne devait entacher ce si joli visage, si ce n'est des larmes de joie.

Tandis qu'il ne réagissait toujours pas, l'elfe lui faisait de discrets signes d'au revoir tout en commençant à redescendre la paroi escarpée de la montagne. Elle était si gracieuse et si agile, se disait-il en la voyant redescendre.

Soudain, Shavi comprit qu'elle partait réellement. Cette révélation eut sur lui l'effet d'un électrochoc qui le fit bondir d'un coup.

— Attendez ! Appela-t-il en dévalant la pente sans se soucier du chemin normal.

Manquant presque de tomber à plusieurs reprises, le dragon arriva au niveau de l'elfe dont l'expression se trouvait entre l'étonnement et l'amusement. Il s'était jeté ainsi pour la retenir, mais ne savait toujours pas ce qu'il pouvait faire pour rester un peu plus en sa compagnie.

— Oui ? demanda-t-elle en voyant qu'il ne disait rien.

— Eh bien... Je... Heu... Avez-vous le vertige ?

— Si ça avait été le cas, je n'aurais pas pu monter si haut. Mais pourquoi ? questionna-t-elle en ne voyant pas où il voulait en venir.

— Je... Je voulais vous proposer de vous raccompagner, expliqua-t-il. Ainsi, vous seriez de retour à votre magasin en un rien de temps.

— Vous voulez dire, avec votre forme de dragon ? Les mages vous attaqueront à vue !

— Je vous déposerait assez loin de la ville pour qu'ils ne m'aperçoivent même pas, promit-il. Vous ne vous êtes jamais demandé ce que cela faisait de voler ?

— Si, mais...

Alors qu'elle réfléchissait à la proposition, Shavi voyait l'hésitation dans son regard. Après tout, voler n'était pas quelque chose d'habituel pour une elfe. Peut-être qu'elle se disait que cela pouvait être dangereux. Ou bien qu'il devenait peut-être un peu trop insistant.

— D'accord, accepta-t-elle finalement.

La joie se lisant sur le visage du dragon, tout deux remontèrent jusqu'à la corniche où il prit sa forme originelle. Seule sa taille était différente vu qu'il était aussi imposant que lors de sa démonstration.

— Que dois-je faire ?

— Montez sur mon dos, devant les ailes, indiqua-t-il.

Surprise, Elyazra sursauta et recula de quelques pas.

— Un problème ?

— Non, rien, répondit-elle en plaçant une main sur son cœur. C'est juste que je ne m'attendais pas à ce que vous pouviez parler sous cette forme.

Sous cette forme, il était bien plus difficile de lire quoi que ce soit sur son visage, mais cette remarque l'avait fait sourire. Pour faciliter sa montée, le dragon se coucha sur le ventre et se servit de sa patte avant comme d'un marche-pied. L'elfe monta alors sur son dos et s'accrocha aux piques qui se trouvaient à la base de son cou.

— Ne soyez pas aussi crispé, détendez-vous, conseilla-t-il.

— Facile à dire, ça n'est pas vous qui chevauchez un dragon.

— Non, en effet, rit-il face à cette remarque. Je vais y aller doucement, ne vous en faites pas. Si vous avez trop peur, je vous ferai redescendre. Prête ?

— Heu... Oui, dit-elle d'une petite voix en voyant qu'il s'approchait peu à peu du vide.

Alors qu'il s'élançait dans les airs, la jeune elfe vida ses poumons en un cri et se colla à son dos. Il ne fallait vraiment pas qu'il aille vite s'il voulait qu'elle apprécie la balade, se dit Shavi. Après quelques battements d'ailes, il finit par se stabiliser dans les airs et à avance à une allure lente.

En sentant qu'il n'y avait plus de secousses, Elyazra ouvrit les yeux et s'ébahit en voyant la plaine à plusieurs centaines de mètres de ses pieds. Shavi sentit alors qu'elle commençait à relâcher ses muscles et à se détendre. Elle était si légère, pensa-t-il. Et dire qu'elle faisait ce trajet de plusieurs jours à pied aussi régulièrement. Malgré son aspect frêle, elle était bien plus courageuse et endurante que beaucoup de mages ou de guerrier qu'il avait connu.

— On voit l'océan d'ici ! s'émerveilla-t-elle.

— Il y a tant de paysages merveilleux qui le sont encore plus vu d'en haut. Si vous le désirez, je vous les montrerai.

— Et qu'y a-t-il au-dessus des nuages ?

— Un ciel d'un bleu très clair et une lumière magnifique qui teinte les nuages d'une couleur orangée lorsque le soir vient, répondit-il. C'est un spectacle absolument magnifique.

— J'aimerai beaucoup le voir.

— Et si je le pouvais, je vous y emmènerais, mais malheureusement, il fait bien trop froid pour vous. Sans compter qu'avec ces nuages, il vous arriverait malheur avant que nous ne soyons arrivés au-dessus.

— Dommage, souffla-t-elle.

Si cette nouvelle l'avait déçue, le reste du voyage lui fit oublier cela. En à peine quelques heures, ils avaient parcouru presque la totalité de la distance qui séparait Sendra de la chaîne d'Hara. Parfois ils parlaient et parfois ils se contentaient d'admirer le paysage en silence.

Lorsque les murailles de la ville pointèrent à l'horizon, Shavi perdit de l'altitude et se posa en douceur. Il s'allongea de nouveau et attendit qu'Elyazra descende de son dos pour se transformer à nouveau.

— Merci beaucoup de m'avoir ramenée aussi près.

— Merci à vous d'avoir accepté.

— Que diriez-vous... hésita-t-elle. Que diriez-vous de finir la route à pied avec moi ? Je pourrais même vous montrer mon magasin et vous inviter à dîner. C'est le moins que je puisse faire après tout ce que vous avez fait pour moi.

— Je... Je ne suis pas prêt pour retourner dans une ville aussi grande, avoua-t-il. Je suis désolé.

— Rien ne vous fera changer d'avis ?

— Le temps, peut-être, souffla-t-il.

— Dans ce cas, j'attendrais le bon moment, sourit-elle. Encore merci pour tout. Au revoir.

— Au revoir.

Alors qu'il la voyait s'éloigner, son cœur se serrait. Il voulait de tout son cœur courir pour lui prendre la main et l'accompagner, mais il ne lui avait pas menti. Les dragons comme lui, même cachés sous leur forme humaine, finissaient toujours par se faire rejeter par les villes. Sa dernière expérience l'en avait que trop dégoûté et il ne pouvait tout simplement pas se faire à l'idée qu'il pouvait encore fouler les pavés de ces rues. Il resta donc là, immobile au milieu de la plaine, à regarder s'éloigner celle qui, désormais, faisait battre son cœur.

Le violon de cristal : les partitions perdues (suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant