II. crise

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Je ferme la porte de la voiture et m'assieds sur le siège passager, à la droite de Max.
Il a berné l'hôpital comme un as. Même moi, j'ai été déstabilisé par son ton confiant et naturel. C'est un menteur de première qualité. En même temps, il le faut bien pour être un journaliste compétent. Il a usurpé des dizaines identités pour enquêter. D'autant plus qu'il a la fâcheuse tendance à se prendre pour mon père, donc se mettre dans la peau du personnage n'a pas dû être très dur pour lui.

Max allume sa caisse et démarre. D'ailleurs, il n'a pas essayé de relancer la conversation depuis qu'on a quitté la chambre d'hôpital. Je l'en remercie silencieusement.

La joue appuyée contre la vitre froide de la fenêtre, je laisse courir mes pupilles sur les rues bordées de neige qui défilent. Tout est blanc.
En réalité, je ne regarde pas vraiment le paysage. C'est une sensation déstabilisante. Voir sans réfléchir, ni analyser. Mon crâne est complètement vide.

En relevant les yeux, j'aperçois mon reflet, ma tête de déterré. Je crois que je ne me suis jamais vu aussi misérable. On pourrait presque me confondre avec un cadavre. Je suis à gerber.

« T'as pas une clope ? demandé-je à Max.

Concentré sur la route, il me passe un paquet amoché et presque vide, tout droit sorti de sa veste. Je m'empresse de sortir une cigarette et de la coincer entre mes lèvres avant de plonger ma main dans la poche gauche de mon manteau. C'est de ce côté-là que j'ai toujours mis mon briquet, mais je viens de me rappeler que je l'avais perdu, il y a quelques mois. Je tends la main vers Max et soupire;

– Briquet.

J'attrape au vol celui qu'il m'envoie puis embrase enfin le bec de ma cigarette. Lorsque je tire dessus, je ressens un  certain soulagement, un instant de détente. Une vieille habitude qui m'avait quitté, revenue m'étreindre chaleureusement les poumons. Max me jette un coup d'œil curieux.

– Tu fumes depuis longtemps ?

– Depuis mes quinze ans, quelque chose comme ça, réponds-je en crachant la fumée aigre-douce de la Marlboro.

– Quinze ans, c'est vachement jeune pour commencer, quand on y pense... lâche-t-il.

Je croise mes jambes, ne sachant que rétorquer.

– Y a beaucoup de choses que j'ai commencé trop jeune, si tu veux mon avis.

Max me lance un coup d'œil sur le côté, ignorant ce que je viens de dire.

– Je t'avais jamais vu avec une cigarette avant. T'avais arrêté ?

Eiji m'a une fois dissuadé de m'en acheter. Il me disait qu'il ne me laisserait pas gâcher bêtement mon argent pour choper un cancer du poumon, ou un truc dans le genre... Mais quand ça venait de lui, ça ne m'irritait pas. Il ne me prenait pas de haut, il essayait juste de m'aider.

Au final, avec lui, je n'avais pas eu le temps de fumer, même si parfois j'en ressentais le besoin. J'avais en quelque sorte zappé mon addiction, grâce à Eiji.
Eiji...

Un étau se serre autour de ma gorge et la sensation de bien-être disparaît soudain. La fumée n'est plus douce, elle m'étouffe. Elle me presse, et une douleur me lance au cœur.
Je baisse la tête. Tout me ramène à lui, ça me rend dingue.

– Ash ?

– Ouais, je réfléchissais à un truc, dis-je en ouvrant la fenêtre. Bref, j'ai essayé d'arrêter, on peut dire ça.

– Tu devrais réessayer. Quand tu seras vieux comme moi et que ton cardio sera complètement ruinée, tu pourras plus rien faire.

– Ouais... je sais. Quelqu'un me l'a déjà dit. Mais là, j'avais vraiment besoin d'une clope.

Je suis là.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant