VI. hasard

994 102 73
                                    

« Ash ? »

Une minute. Mes oreilles bourdonnent, je suis dans les vapes... mais cette voix...

Je suis sûr de la connaître.

« Eh, Ash ! Qu'est-ce que tu fous par terre ? »

Deux mains chaudes agrippent mes épaules, puis, quelques silencieuses secondes plus tard, se mettent à les remuer avec une telle énergie que mon corps assoupi y réagit. Certaines sensations me reviennent.

Enfin, c'est beaucoup dire. Si j'essaye de bouger ne serait-ce qu'un peu, un haut-le-cœur particulièrement coriace me prend de suite aux tripes. Dans la nuit, j'ai beau plisser les yeux, je ne perçois que du flou, des formes sombres.

« Reste conscient, reste conscient ! persiste la voix. Tu es blessé ? Tu t'es fait attaquer ? Merde, dis un truc !

– J'ai pas... pas assez mangé ces derniers jours, je crois...

– Tu... Attends, j'ai ce qu'il te faut. Ouvre la bouche. »

Je relâche mes muscles, abandonnant l'idée de me redresser par moi-même. Le mieux, c'est de suivre l'ordre de cette personne. Qui qu'elle soit, elle ne me veut pas de mal, à priori.

Mais en fait, pourquoi est-ce que je suis encore en train de tout analyser, même au bord de la mort ? Alors que, dans ma position actuelle, hésiter à attraper les mains qui se tendent vers moi me serait fatal ?

Je desserre la mâchoire.

Mes lèvres sont aussitôt accueillies par le métal acidulé d'une canette. Un goût sucré et gazeux inonde mes papilles.
Bordel, que ça fait du bien.

Je peux enfin récupérer un peu d'énergie, maintenant que je ne risque plus de perdre connaissance d'un instant à l'autre.

En clignant plusieurs fois des yeux, je parviens à retrouver la netteté habituelle de ma vision. Je relève le menton pour vérifier l'identité de celui qui est venu à ma rescousse, dont j'avais déjà eu ma petite idée au timbre de sa voix.

« Sing.

– Il t'arrive souvent de faire des crises d'hypoglycémie comme ça, toi ?

– Les questions peuvent attendre deux minutes, s'il te plaît ? Mon crâne va exploser, si tu continues comme ça... »

Il soupire, avant de s'asseoir par terre, me dévisageant avec un regard affichant à la fois inquiétude et agacement, pendant que je reprends mes esprits, encore bousculé par cette désagréable expérience.

J'observe mes mains, les fermant et refermant plusieurs fois. Peut-être bien que je passe pour un abruti, mais faut dire que mes membres ne répondaient presque plus à mon cerveau, tout à l'heure. J'en reviens pas, ça m'est tombé dessus sans que je puisse même m'y préparer.

C'est pas passé loin pour ma gueule, encore une fois.

Je n'avais pas envisagé pouvoir subir un tel coup de barre. Pourtant ça parait totalement logique. En arrêtant de me nourrir, avec toutes les conneries qui ont tourné en boucle dans ma tête ces derniers temps, combien de temps est-ce que je m'attendais à tenir ?

Comme d'habitude, j'ai joué avec le feu.

Ayant repris un rythme cardiaque à peu-près stable, je souffle dans mes mains frigorifiées, tentant de leur apporter de la chaleur, sans grand succès.

« Merci, dis-je à Sing, merci de m'avoir aidé...

– C'est rien...

– Je dis pas ça à beaucoup de gens, donc profite-en bien, souris-je.

Je suis là.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant