~ 14 ~ Edwina

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Une émotion, qui depuis longtemps avait fui son corps, obstrue sa trachée. La peur de les voir se retourner contre elle. Sa nouvelle famille. Ces adolescents qui ont pris soin d'elle, qui sont dans la même situation hasardeuse qu'elle.

Sa faible voix souffle alors son aveu. Son âme semble s'être échappée de son corps et paraît l'observer narquoisement.

Pourquoi l'as-tu caché, petite ? siffle-t-elle. Tu as peur maintenant, je le vois. Mais c'est entièrement de ta faute.

L'effroi qui tord le visage de Shayna lui retourne l'estomac. Edwina ne voulait pas leur faire de mal. Elle ne faisait qu'exécuter des ordres, qu'elle sait maintenant avoir un sombre dessein. La promesse qu'elle a obtenue en échange se brise ; jamais elle n'obtiendra ce qu'elle voulait. Jamais elle ne pourrait réparer son cœur, recoller ses infimes morceaux, si petits qu'ils en deviennent invisibles. Jamais sa mère ne lui pardonnera. Jamais elle ne reverrait l'amour dans ses yeux verts d'eau, aussi clairs que les siens.

Sa vision se trouble, ses pupilles se noient dans le liquide lacrymal. De grosses larmes roulent sur ses joues rebondies, dont les pommettes rosissent. Elle va tout leur dire.

Tu ne peux pas, petite importune. Tu le sais, crache de nouveau cette voix sifflante dans sa tête.

— Je... suis désolée, pleure-t-elle devant cette assemblée amicale il y a quelques instants.

— Pourquoi ? lâche Shayna.

Ses grands yeux noisettes l'observent, la détaillent, ne comprennent pas. D'ordinaire, Shayna comprend rapidement, mais son cerveau paraît perdu. Et il y a de quoi.

— C'est...

Une douleur sans nom fuse dans sa poitrine. Son cœur se comprime, l'air est expulsé violemment de ses poumons. Un étau étrangement apparu l'étrangle. Ses prunelles se dilatent et obscurcissent ses yeux.

— Edwina ! s'exclame Farid, effrayé.

Aussi rapidement que la souffrance est apparue, elle disparaît. Ses griffes effleurent une dernière fois la gorge de la jeune fille, comme un avertissement. La voix d'Edwina se bloque dans se gorge ; aucun son n'arrive à s'échapper. Elle se bat pourtant avec hargne contre ce pouvoir qui l'empêche de s'exprimer.

— Lui... lâche-t-elle dans un râle.

Son souffle éveille les hypothèses du groupe ;

— Lui ? Le roi ?

— Le Cerf ?

Les exclamations fusent, mais aucune ne convient. Edwina, désespérée, comprend qu'ils ne trouveront pas. Le souffle commence à lui manquer, des poumons la brûlent alors qu'elle tente de parler. Encore et encore.

L'énergie déployée autour d'elle est un mur sur lequel elle s'écrase impitoyablement à chaque tentative. Alors, au lieu d'essayer d'aller tout droit, elle cherche un moyen de le contourner.

Ses yeux verts d'eau mangés par la douleur analyse avidement l'environnement. Ils s'élancent à l'assaut de l'arbre, passent en vitesse sur ses camarades, fouillent le sol. Ils terminent leur danse affolée sur un point au sol. Soudain, ils se figent.

Edwina titube difficilement vers cet objectif. Cécilia vient l'aider.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? Edwina, parle ! Que veux-tu ?

La jeune fille secoue la tête et continue sa lente progression sur la terre humide, sous le ciel nocturne. Elle finit par atteindre laborieusement une feuille ocre, qui flamboie à la lueur des flammes. Elle montre fièrement du bout des doigts sa couleur rousse. Sa gorge est toujours obstruée par une force invisible. Ses amis redoublent d'efforts pour comprendre son mal. Edwina, dont la douleur redouble soudain, est prise d'une quinte de toux brutale qui la propulse au sol. Ses paumes frappent durement la terre sèche.

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant