Arrivée dans l'encadrement de la porte, Avril se rendit compte qu'elle retenait sa respiration depuis un petit moment. Elle expira et inspira à nouveau. L'odeur discrète de la danseuse lui parvint sans qu'elle ne puisse la chasser de son entourage. Elle aurait voulu la repoussait, lui dire encore plus clairement ce qu'elle pensait d'elle, mais pour le moment, la brune semblait être son seul appuie et elle ne voulait pas la faire fuir, de peur de se retrouver par terre.
-Attention à la chaise.
La voix calme et posée de la danseuse l'agaça. Pourquoi semblait-elle si détendue? Pourquoi ne s'énervait-elle pas lorsque Avril lui lançait une pique méchante? Pourquoi ne semblait-elle tout simplement pas lui prêter attention? Comme si la policière ne l'atteignait pas, qu'elle était au dessus de tout ça...
Tout à coup, Avril se sentit comme la pire des misérables, le poids de ses insultes proférées lui revint en pleine figure et elle chancela davantage. C'était évident: les gens n'en avait que faire d'Avril. Jeune femme un peu fade, rembruni et amère, au caractère explosive, les gens l'évitaient, ne souhaitant pas rencontrer sa route et les malheurs qui la suivaient.
« Tu es laide... »
Les mots de sa mère résonnèrent affreusement en elle, comme un grincement désagréable qui persiste. Elle eut beau essayer de les taire et de les renvoyer dans l'oubli de sa mémoire, ils continuèrent à se déverser amèrement.
« Personne ne pourra jamais te désirer, poser ses main sur ton corps osseux, te dire des mots doux au creux de l'oreille. »
-Tu avais tort Maman, lui, il a osé. Il l'a fait et tu l'as laissé faire, parce que tu avais peur...
Elle se revit dix ans auparavant, dans sa chambre sombre, recroquevillée sur son matelas miteux, la gorge serré, le cœur lourd. Elle entendit de nouveau ses pas lourds sur le parquet grinçant. Sa voix caverneuse, ses mains dégarnies...
Une main douce se posa sur sa joue livide, la faisant émerger de ses sombres souvenirs. Avril s'accrocha de toutes ses forces à la chaleur que dégageait celle-ci et réussi à repousser la voix nasillarde de sa génitrice. Pour combien de temps? Elle n'en savait rien.
Le visage inquiet de la danseuse apparut dans son champs de vision et elle ne sentit pas d'attaque à la repousser, encore. Elle n'était même pas sûr d'en avoir envie. Ses yeux plongèrent dans ceux océans de sa vis-à-vis et y lurent tout le désarroi et l'incompréhension qui l'habitait, une pointe d'amusement brillait également dans son regard. Elle semblait ravie d'avoir franchi les barrières de la blonde. Car oui, elle était bel et bien passée au travers de celle-ci, pas intentionnellement, mais elle entrevoyait tout de même la Avril fragile, celle qui ne sortait presque jamais... Qu'elle ne laissait jamais sortir. Par peur, par épuisement. Elle avait été celle-là pendant toute son enfance et son adolescence.
-Il faudrait peut-être vous relever... Murmura la danseuse en mimant le geste de se redresser.
En effet, la policière s'était, sans même s'en rendre compte, laissée tomber au sol et était désormais avachie sur le vieux mur qui faisait face au bar. La plupart des personnes présentes dans la salle ne lui prêtaient guère attention, il devait la prendre pour un femme désespérée ayant un peu trop forcé sur l'alcool. Avril aurait aimé avoir une bouteille à cet instant, pour noyer le flot intarissable de ses souvenirs monstrueux qu'elle ne pouvait confier à aucune autre personne qu'elle.
-Je peux y arriver seule. S'entêta-t-elle en clopinant jusqu'à la sortie du bar et en écartant sur son passage les corps dansant, brûlant de fièvre.
Passer la porte d'entrée du cabaret dans l'autre sens fut comme une bouffée d'air frais, autant pour Avril que pour la danseuse. Elles laissèrent derrière elles leurs soucis et allèrent se poser sur un banc défraîchi à l'orée d'un parc. Assises là, en silence, ne ressentant pas l'envie de se séparer mais ne sachant néanmoins pas quoi faire ni dire, elle pansèrent leurs plaies. Tel deux âmes vagabondes, abîmées par la vie.
La danseuse jetait de furtifs regards en direction de la blonde, comme si elle avait peur qu'elle ne s'échappe. Néanmoins, avec sa cheville gonflée, elle ne risquait pas d'aller bien loin. Avril savait qu'elle devait s'excuser et la remercier, mais elle n'y arrivait pas. Un étau lui enserrait la gorge.
-Je ne t'ai pas demandé comment tu t'appelles. Lança timidement la brune.
Avril la comtempla craintivement. Peut-être avait-elle peur qu'elle se serve de cette information contre elle.
-Avril.
Elle avait finalement opté pour l'honnêteté
Pas de retour de question. Rien. Le silence s'installa à nouveau, les enveloppant d'un voile sombre et mystérieux.
-Je suis Anasia.
-Et moi je m'en fous...
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ANASIA
RomanceDe son nom de scène, Anasia, en hommage à son aïeul décédé, la talentueuse brune en ensorcèlent plus d'un. Engagée comme danseuse dans un cabaret sordide depuis ses dix huit ans, voilà cinq années qu'elle rêve de démissionner pour mener la vie qu'el...