Quelques heures auparavant
-Mais Paul, écoutez moi! Fulmina Avril en claquant furieusement son espadrille sur le sol de marbre.
L'intéressé ne cilla pas, il se contenta de répondre d'une voix molle en fixant le stylo qu'il faisait tourner entres ses doigts osseux:
-Mais je vous écoute, ma chère Avril... (Puis, dans sa barbe) Du moins je vous entends...
Avril était hors d'elle, elle n'avait qu'une envie: faire avaler son petit sourire suffisant à son supérieur. Quand serait-elle réellement prise au sérieux dans son domaine? Quand ses collègues arrêteraient-ils de la considérer comme une emmerdeuse de première, seulement bonne à remplir leur tasse de café? Elle méritait son job, elle le savait, elle avait travaillé dur pour en arriver là où elle en était, et ce n'était pas une bande de machistes en uniforme pourvus de récompenses d'états qui allaient l'empêcher de faire ses preuves! Le plan qui était né quelques jours auparavant dans son esprit refit surface sans qu'elle puisse le refouler, cette fois. Retrouvant un semblant de calme apparent, elle se planta devant Paul, les poings sur les hanches. Il arqua un sourcil broussailleux, la défiant d'insister d'avantage.
-Je vous l'ai dit, Paul, j'ai des preuves, du moins des témoignages, et des soupçons. Il ne me reste plus qu'à me rendre discrètement sur place pour...
-Mener votre propre enquête et tout le toutim, vous l'avez-déjà dit. La coupa-t'il sans gêne.
-Oui, c'est cela. Je ne vois pas où est le problème.
Les grands yeux de Paul se plissèrent et sa bouche ridée s'incurva en un sourire presque... compatissant. Comme s'il s'adressait à une enfant.
-Avril, vous n'êtes pas détective, vous êtes policière, tout juste diplômée, en plus. Arrêter de jouer aux enquêtes et laisser faire les plus expérimentés. La réponse est non. Si vous voulez bien m'excuser maintenant, j'ai du travail.
A croire que la fascination qu'il vouait au stylo pendant l'entretien d'Avril commençait à le lasser.
Il se leva, épousseta son uniforme bleu et reconduisit prestement à la porte une Avril furieuse et déconcertée.
La traversée du couloir décernant les bureaux de chacun des employés se fit au pas de course pour Avril. Elle lança des regards noirs à chaque personne -même innocente- qu'elle rencontra, jusqu'au toilette..
-Espèce de salopard de merde, je jure te t'arracher les...
-Ouh la la, je n'aimerais pas être celle à qui tu parles en ce moment... Plaisanta une petite femme rondelette au fort accent africain en claquant la porte des toilettes derrière Avril.
Avril se retourna et souris tristement à Estere, l'unique autre policière de sexe féminin de la brigade. Elle l'appréciait beaucoup, la jolie brune avait toujours une remarque drôle ou un mot réconfortant lorsque Avril se sentait triste ou lasse. Estere était comme un petit rayon de soleil qu'elle se plaisait à retrouver de temps en temps à la pause de midi ou celle du café. Elle ne connaissait pas grand chose de la jeune femme et rares étaient les fois où Avril l'avait entendu se confier à elle. C'était mieux ainsi, Avril n'aimait pas s'immiscer dans la vie des gens et dans leurs problèmes, cela la mettait mal-à-l'aise, elle avait l'impression désagréable qu'ils attendaient en retour qu'elle en fasse de même. Ce qu'elle ne faisait guère... La majorité des problèmes dont elle aurait pu parler appartenaient à son passé, le passé dont elle se serait bien débarrassé.
-Laisse moi deviner, je suis intervenue avant que tu dises que tu allais lui arracher les couilles et les offrir en sacrifice à Satan avant de faire frire sa langue sur le bûcher des enfers? Dit Estere d'une voix faussement professionnelle.
Avril pouffa, réellement amusée, en seulement une réponse cinglante, l'africaine avait réussi à lui rendre sa bonne humeur.
-C'est à peu près ça, sauf que j'avais prévu la castration totale... Et aussi le rituel satanique, et aussi l'écartel...
-C'est bon, ma jolie, on va s'arrêter là, tu vas donner la gerbe à mon petit cœur d'artichaut! Bon aller, raconte moi, qu'est-ce qu'il t'a fait pour que tu sois autant remontée?
Avril lui raconta le refus de Paul et son absence de réaction face à ses projets et ses idées. La blonde n'était pas seulement furieuse, elle était réellement vexée qu'on n'apporte pas plus de considération à ce qu'elle proposait. Honnêtement, lorsqu'elle était sortie major de son concours national policier, il y a un peu moins d'un an, elle pensait qu'elle allait directement accéder aux missions intéressantes: libérer des otages, se mesurer à des individus fortement armés, mener des interventions de contre-terrorisme...
Mais pour l'instant, la chose la plus « excitante » qu'elle avait fait, c'était intervenir pour tapage nocturne dans une fête d'adolescents puérils. Elle avait aspiré à mieux.-Pour nous les femmes, c'est compliqué, on est obligé de se battre pour se hisser sur les échelons de la société, alors que les "hommes" (elle exagéra les guillemets avec ses doigts parfaitement manucurés), ils ont tout directement dans leur bec! C'est à vous dégoûter d'avoir un vagin!
Avril rit jaune, elle ne croyait pas si bien dire!
-Merci Estere, fît-elle en claquant la bise à son amie, je dois y aller, j'ai des... choses à faire.
La brune plissa suspicieusement les yeux en lui lançant un regard qui voulait clairement dire: « t'auras intérêt à m'en parler demain, à la pause... »
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ANASIA
RomanceDe son nom de scène, Anasia, en hommage à son aïeul décédé, la talentueuse brune en ensorcèlent plus d'un. Engagée comme danseuse dans un cabaret sordide depuis ses dix huit ans, voilà cinq années qu'elle rêve de démissionner pour mener la vie qu'el...