Chapitre 9

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-bip, bip, bip-

Ses paupières étaient lourdes - comme si on y avait posé deux plaques de bétons - et sa bouche pâteuse. Le bruit aiguë l'agaça prodigieusement avant même qu'elle ne se demande où elle se trouvait. C'est bon signe, se dit-elle. Si cette odeur caractéristique de ces endroits ne régnait pas à travers la pièce, elle aurait pu croire à un lendemain de soirée difficile, doublé d'une mauvaise cuite. En un sens, elle aurait préférée. Mais Avril  ne se connaissait que trop bien et savait parfaitement que ses dernières grosses cuites remontaient à son adolescence et qu'elles étaient moins fréquentes depuis quelques temps. Ses membres étaient lourds et endoloris et sa tête trop douloureuse pour qu'il s'agisse d'une simple gueule de bois.

Elle ouvrit lentement les yeux et fut rapidement éblouie par la lumière située au dessus d'elle. Autour, tout était d'une blancheur maladive: des draps immaculés jusqu'au carrelage sur le sol. L'air ambiant était frais, agréable, mais ne rassura pas pour autant la policière qui se mit à transpirer à grosses goûtes. Les souvenirs affluèrent de nouveau en elle: son frère, blessé et inconscient, Lonie criant en secouant Justin et elle qui tombait, comme attirée par le sol... Avril se sentit ridicule. Encore une fois, elle n'avait pas su gérer la situation. Si Lonie n'avait pas été là, si elle n'avait pas prévenue l'hôpital à sa place, Justin se serait surement vidé de son sang, pendant qu'elle-même reposait inerte sur le parquet sale de son immeuble. Elle se serait réveillée dans cette même chambre d'hôpital et les médecins lui auraient annoncés que son frère était décédé, suite à ses blessures. A la pensée de cette possibilité, Avril ne put retenir une larme. Les "et si" étaient un terme terrifiant qu'elle s'était efforcé de bannir de son vocabulaire depuis qu'elle était entrée dans la police, mais ici, alors qu'elle avait faillit à protéger son entourage, elle ne pouvait s'empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer. Encore une fois, elle avait laissé son passé envahir le présent et prendre possession d'elle. Elle devait voir Justin pour s'assurer qu'il allait bien et lui parlait de ce qui lui était revenu pendant la scène désastreuse. A cette simple pensée, elle frissonna et retint tant bien que mal un haut-le-coeur. Tout son être suppliait qu'il s'agisse simplement d'une grossière erreur. Avril avait toujours eu beaucoup d'imagination, c'était d'ailleurs ce qui l'avait fait tenir durant toutes ces années. Parfois, lorsqu'elle se concentrait très fort, elle s'évadait et partait en Inde, à dos d'éléphant où dans les grands défilées à New-York. Elle se disait qu'il y avait bien une raison à sa punition et que plus tard, elle serait dédommagée. Il fallait croire qu'elle s'était trompée.

Elle voulut se redresser en position assise mais un douloureux vertige l'en empêcha. Dans son empressement à retrouver son frère, elle avait oublié qu'elle avait dû faire une violente chute sur le carrelage dur. Serrant les dents, la jeune femme trouva la force de s'asseoir au bord du lit, les jambes pendant dans le vide. Lorsqu'elle cessa enfin de bouger, elle eut l'impression d'avoir accompli un exploit surhumain! Le sang battait contre ses tempes, la coupant du monde extérieur, si bien qu'elle n'entendit pas la porte de sa chambre s'ouvrir.

-Tu ne devrais pas bouger. 

Avril sursauta, ce qui la fit grimaçait de douleur. Jetant un regard noir à Lonnie Flores qui venait de pénétrer dans la pièce, elle lui arracha presque les vêtements que cette dernière lui avait apporté. Elle ôta maladroitement, à grand renfort de jurons et de mouvements dans le vide, la blouse blanche qui l'habillait sans prêter attention à la jeune femme qui la contemplait d'un oeil perplexe, adossée à la porte.

Lonie Flores était une petite brune au visage d'ange mais au caractère bien trempé. Née dans une riche famille marchande, elle était le parfait cliché que s'imaginait les gens de classes sociales plus basses: attitude hautaine, presque dénigrante, tendance à exposer son argent... Elle était aussi, au plus grand désespoir d'Avril, la petit amie de son frère depuis deux ans. Elle en avait dix-huit, donc seize lorsqu'ils s'étaient rencontrés, lui en avaient vingt-sept. Avril savait que son frère possédait un don pour se mettre dans de mauvaises situations, mais lorsqu'il avait ramené cet ado ingrate chez elle, Avril avait cru déjanter. Elle était de la police, et cette histoire entre son frère et Lonie était considérée comme de la pédophilie aux yeux de la loi, et Justin n'avait pas compris dans quelle position inconfortable il la mettait. Mentir pour le protéger ou suivre jusqu'au bout et aveuglément l'éthique de son métier. Aujourd'hui plus que jamais, elle ne regrettait en rien sa décision. Elle n'aimait pas Lonie, mais elle devait admettre que sans elle, Justin serait mort. 

-Comment tu te sens? 

Lonie ne prenait pas soin des autres, du moins pas sans en attendre quelque chose en retour. Seul son frère semblait être passé à travers les mailles du filet, sinon, Avril était presque sûre qu'elle l'aurait laissé mourir à même le sol et serait retournée à sa petite vie bourgeoise. 

-Ça t'intéresse? Répliqua Avril, méfiante.

-Ça m'intéresse de savoir comment on se sent après avoir faillit tuer son frère. 

Chaque parcelle de la peau du corps d'Avril fut parcourut d'un long et douloureux frisson. Touchée. C'était donc ça, Lonie voulait la faire culpabiliser. En même temps, quelle personne censée ne lui en voudrait pas à sa place? Un silence glaciale s'abattit dans la pièce, chargé d'une tension presque palpable. Les deux femmes se regardèrent en chien de faïence, cherchant chacune à faire plier l'autre. Elles ne s'aimaient pas, mais elles étaient liées par un point commun: elles aimaient toutes deux Justin. C'était loin de faire toute la différence, mais c'était suffisant pour qu'un respect mutuel et profond se soit instauré entre les deux. Parce que si au début, Avril avait douté de l'amour de Lonie pour son frère, elle avait vu au fil des mois à quel point elle était amoureuse de lui. C'était même la chose dont elle était le plus certaine dans sa petite vie inutile, mais bien-sûr, pour rien au monde elle ne lui aurait avoué. Avril l'avait cru comme elle, incapable d'aimer, il fallait croire qu'elle s'était trompée.

Epuisée, Avril émit un profond soupir.

-Je suis désolée Lonie, j'ai déconné.

Un rire cristallin, chargés de reproches, sortit de sa bouche candide et se répercuta dans toute la pièce. Il s'arrêta tout aussi brusquement qu'il était sortit.

-Tu as déconné, et profond. Je crois que tu culpabilises déjà assez toute seule et je vais te laisser patauger dans la merde que tu traînes. Je ne dirai rien à Justin, juste pour le plaisir que tu me sois redevable un jour.

Avril la fixa sans rien dire, avec l'impression grandissante que cette histoire n'augurait rien de bon.

-Alors, tu ne me dis pas merci? Poursuivie Lonie, la voix dégoulinante de fierté.

Ses mains se crispèrent le long de son corps, si bien qu'elle sentit ses ongles pénétrer sa peau. Elle empêcha sa main à maintes reprises d'aller rencontrer le visage si parfait de Lonie. Comment son frère la trouverait-il avec un oeil au beurre noir? Et deux? Malgré son envie de meurtre Avril savait qu'elle se trouvait en position de faiblesse par rapport à la brune. Si son frère apprenait ce qu'elle avait fait, ou plutôt, ce qu'elle n'avait pas fait, Dieu seul saurait ce qu'il ferait... Elle se tut.

-Je ne l'ai pas encore vu, tu m'accompagnes ou ta souffrance est-elle encore trop dur à supporter?

Encore une fois, sa voix était chargé de sarcasme.

« Calme toi Avril, respire, respire, pas d'acte irréfléchi... » Se répéta-t-elle tout le long en suivant la silhouette gracieuse de Lonie à travers les couloirs blancs de l'hôpital. Elle-même se trainait difficilement, la tête lui tournait et un haut-le-coeur lui venait chaque fois qu'elle accélérait le pas pour ne pas perdre de vue son adorable belle-soeur. Avril se fit l'effet d'un chien errant suivant péniblement quelqu'un dans la rue en espérant que celui-ci accepte de l'adopter. Son ego en prit un coup, comment pouvait-elle se laisser malmener par une gosse pourri gâtée? 

Mais toutes pensées quittèrent son esprit lorsqu'elles pénétrèrent dans la chambre de Justin. A ce moment, tout se figea autour de la policière qui contempla impuissante le corps inerte de son frère. Elle sentit un pique la transpercer de toutes parts, comme des millions d'aiguilles venant lui rappeler la souffrance qu'il devait ressentir. 

Oui, elle avait déconné.




//Chapitre sans grandes révélations, j'avoue...  Cependant on en apprend un peu plus sur le personnage de Lonie Flores! J'espère qu'il vous plaît^^//

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 06, 2020 ⏰

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