Ce qu'on n'aurait pas dû savoir. Première partie - Théo

87 23 50
                                    

J'avais fini par le comprendre : le monde d'à côté nous réservait toutes sortes de petites et de grosses surprises. Mais celle-là, je ne l'avais pas vu venir.

Emprisonné sous ce dôme avec Bouboule depuis déjà une dizaine de minutes, j'étais trop sous le choc pour me plaindre. Parce que de l'autre côté, des gens nous observaient. Et il ne s'agissait pas de monsieur et madame Lambda, loin de là. Avec un peu d'espoir, peut-être que nous avions atterri au milieu d'un comiccon ou quelque chose comme ça, mais j'en doutais fortement.

Dans la foule, un homme à la peau verte mesurait au-dessus de deux mètres, des défenses de sanglier lui sortait de la bouche et il portait un costume cravate et un attaché caisse. Un peu plus loin, une fille minuscule qui aurait pu avoir sept ans, avait pourtant des formes féminismes qui trahissaient un corps adulte. Et dans son dos, des ailes de libellules qui pointaient vers le bas, aux reflets rose, violet et turquoise. D'autre, en apparence plus normale, avaient des oreilles longues et pointues et des yeux de chat, la pupille jaune lumineuse en un trait vertical.

Si des dragons et des pégases étaient dans le lot, je crois que je n'en serais pas plus étonné.

— Eh... Théo, dit Peter en faisant un petit pas vers moi. T'as une idée de ce qui se passe ? Parce que moi, vraiment... j'en ai aucune.

— Je suis dans le même bain que toi, en ce moment.

Je grimaçai à l'image qui m'était venue en tête. Ça avait réussi à me faire sortir de ma torpeur, et je me tournai pour faire face à Péteur.

— Faut qu'on trouve un moyen de partir d'ici.

— Mais la maison est plus là, et le passage non plus...

— Peut-être qu'il suffit d'un vœu. Bon, au moins, les filles ne sont pas elles aussi dans ce merdier !

À l'instant où je prononçai ses mots, l'air sembla onduler entre nous deux. Et une seconde plus tard, Amy et Xilena apparurent, l'une après l'autre. Un léger silence s'infiltra alors que nous nous dévisagions l'un l'autre.

— Qu'est-ce que vous faites ici ?! m'écriai-je rageusement.

— Depuis quand on n'a pas le droit ? répliqua aussitôt Amy. Mais... on est où, au juste ?

Les filles tournèrent sur elles-mêmes pour juger de notre nouvel habitat. Leurs yeux s'écarquillèrent quand elles remarquèrent les gens bizarres qui nous observaient, de l'autre côté du dôme.

— C'est qui, eux ? demandèrent-elles d'une seule voix.

— On n'en sait pas plus que vous, dis-je, commençant à m'énerver. D'ailleurs, c'est encore la faute à Péteur. Comme si c'était nouveau.

Peter plissa les yeux en me lançant un regard dédaigneux.

— Je souhaite que tu sois gentil avec moi.

— Va te faire foutre, répliquai-je aussitôt. (Je me redressai en réalisant ce que je venais de dire. Tous m'observaient d'un air inquiet.) Les vœux ne fonctionnent pas ?

— Mais il se passe quoi, au juste ?! s'écria Xilena.

Personne ne se donna la peine de lui répondre, car aucun d'entre nous n'avait la moindre idée. Peut-être que, tel le monde d'à côté, il existait un autre voisin à celui d'à côté ? Peut-être qu'il y avait tout un quartier de monde et que nous avions atterri chez le mauvais ?

Alors que je me sentais sur le point de perdre les nerfs, un bruit étrange nous fîmes sursauter. Tous dans nos pensées, chacun essayant de trouver une explication plus ou moins logique au phénomène, nous en avions visiblement tous oublié ces gens qui nous observaient. Parmi eux, une femme semblant tout droit sortie d'Avatar - celui de James Cameron, je précise, pas l'autre animé style japonais qui est pourtant cent pour cent américain (j'avais été choqué en découvrant la vérité) - venait vers nous. Elle avait, d'une certaine manière, fait un trou dans le mur du dôme. Une porte ronde d'un peu plus de deux mètres de diamètre était apparue, nous reliant au monde extérieur, quel qu'il fût. Une étrange impression de déjà vu s'insinuait en moi alors que la dame à la peau bleue et striée de motifs turquoises s'approchait. À l'opposé des habitants de Pandora, elle ne faisait qu'un mètre soixante-dix et était vêtue de façon à passer inaperçue. Jeans moulants, chemise blanche refermée en un nœud au niveau du nombril, les talons hauts noirs et les cheveux, noirs également, coiffés en chignon.

Au point où j'en étais rendu, chaque détail me semblait extraordinaire.

— Branda ?! s'exclama Amy.

Je me retournai vers Amy, perplexe. Cette extraterrestre n'était en aucune chance Branda, la petite fausse-blonde qui s'était prise pour notre agente immobilière. Quoique...

Je refis face à la nouvelle venue. Enfin près de nous, je pouvais clairement voir qu'elle était contrariée. Peut-être même à un poil de péter les plombs. Mais malgré ses traits durs, je ne pus que reconnaitre une certaine ressemblance sur les formes de son visage.

Bon sang, c'est Branda... avec la peau bleue...

— Qu'est-ce que vous faites là ?! s'écria-t-elle soudain, et même sa voix ne pouvait que me confirmer que c'était vraiment elle. Vous n'avez pas été autorisé à voir l'envers !

— Mais on n'a rien fait du tout ! répliquai-je aussitôt. Et on n'a pas la moindre idée de comment on a pu se retrouver ici !

Branda soupira, tentant de reprendre son calme. Elle mit ses mains en prière devant elle et ferma les yeux de longues secondes, avant de les ouvrir à nouveau.

— D'accord. Très bien. Dis-moi quel était ton dernier vœu.

Je me tournai vers Peter pour lui lancer un regard noir. Je le savais ; c'était sa faute, comme toujours.

Peter baissa la tête, honteux, avant d'avouer :

— J'ai dit : « Je souhaite que ça s'arrête ».

— Et t'as pas pensé une seconde que ça pouvait s'interpréter comme tout ? dit cette fois Amy, qui serrait les poings de rage. Si tu souhaites que tout s'arrête, tu as peut-être provoqué la fin du monde ! Non ?

— Non, dit aussitôt Branda. Non, ce n'est pas la fin du monde... mais tu n'es pas loin, Amy.

Branda leva les yeux au ciel, ou plutôt au plafond du dôme. Celui-ci presque totalement transparent, à peine opaque, on pouvait facilement voir au travers les nuages prendre toutes sortes de formes étranges.

Enfin, elle ne semblait plus en colère. Juste résignée.

— Bon, puisque vous êtes là, je vous fais visiter ? Je vous expliquerai en chemin.

— Euh... est-ce qu'on est coincé ici, ou on va pouvoir retourner chez nous ensuite ? demanda Xilena d'une toute petite voix. J'ai un rendez-vous à seize heures moins quart...

Branda éclata d'un rire léger, qui m'apaisa aussitôt. Je me permis enfin de respirer. Un tel rire ne pouvait qu'annoncer une bonne nouvelle.

— Bien sûr, Xilena. Je ne vous retiens pas en otage. Je veux juste que vous sachiez votre erreur pour que vous ne la commettiez plus. (Elle prit soudain un air étrangement menaçant, avant d'ajouter d'une voix grave :) Plus jamais.

Xilena déglutit en hochant vivement la tête, rapidement imité par Amy et Peter. Pour ma part, je restai immobile, observant toujours Branda d'un œil suspicieux.

Je le savais. Je savais que ce monde ne pouvait que cacher quelque chose de gros.

Et je savais aussi que, peu importe ce que Branda s'apprêtait à nous révéler, ça ne représentera pas plus de cinq pour cent de ce qu'il y a à découvrir ici.

— Allez, sortez de ce dôme, maintenant. Je commence à me sentir un peu claustrophobe.

Le monde d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant