Dans ce monde... troisième partie - Amy

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Salut ! Moi, c'est Amy. Vous savez, la grande blonde aux yeux bleus et au corps de mannequin Photoshopé. Celle avec aucun gramme de gras, mais avec une belle paire de fesses sortie de nulle part. La plus populaire à l'école, dont toutes les filles sont jalouses et dont tous les gars rêves de coucher avec. La plus parfaite du pays. C'est moi !

Ouais, mais ne prenez pas peur non plus. Je ne suis pas comme ces autres débuts de fictions, je suis une originale, moi aussi. C'est juste que, certain temps, j'aime bien me narrer dans ma tête avec une voix de greluche et faire genre « je suis dans un livre, je me décris comme je veux ». Parfois, j'imagine même l'autrice de ma vie — c'est peut-être un auteur, mais je suis convaincue que c'est une fille — étendue dans son lit, écrivant vite fait quelques mots sur son ordi avant de se coucher, et ce disant « je vais inventer ce genre de personnage pour que tout le monde puisse se foutre de sa gueule, ce sera drôle ». Dans ma tête, je vois la scène aussi bien que si j'y assistais. Elle est petite et porte des grosses lunettes – myope, donc, comme tout écrivain qui se respecte —, elle soupire platement en cherchant à se présenter tout en écoutant les voitures passer par la vitre de sa chambre, écrit n'importe quoi pour la simple satisfaction d'entendre les touches de son clavier cliqueter. Et précise, juste comme ça, qu'elle est vêtue d'un vieux legging en guise de pyjama, avec deux teintes de gris aux motifs bizarres, et des taches de peintures brunes un peu partout, souvenir du jour où elle avait aidé ses parents à redécorer la salle de bain des invités.

Mais bon, on ne s'éternisera pas sur celle-là, ce n'est pas pour elle que nous sommes ici. C'est pour moi. Après tout, si sa vie était intéressante, elle n'écrirait pas sur celle des autres.

Quoi que. Dans le fond, ma description n'était pas si exagérée que ça. C'est vrai, je suis blonde aux yeux bleus. J'aurais eu de quoi survivre à la Deuxième Guerre mondiale, c'est déjà beaucoup. Je me serais volontiers contentée de ça. Ah, et la belle paire de fesses, aussi. On ne sait jamais, ça peut être pratique. L'hiver quand on tombe sur la glace, par exemple, pour amortir le choc. La triste réalité est que je suis pire que plate, mes fesses sont concaves. J'avoue n'être populaire que grâce à mes fréquentations. L'école, c'est comme travailler dans un restaurant : il faut gravir les échelons pour devenir le chef. C'est comme ça que j'ai réussi. Pas avec des tartes aux citrons meringués, mais simplement parce que j'étais amies avec les bonnes personnes.

Personne qui, entre autres, rêvait d'aller au bal et danser toute la nuit. Et s'il y en avait une qui ne suivait pas le rythme, elle serait rejetée. C'est con, je sais, mais eh, c'est la vie.

Aucune d'entre elles n'était au courant que j'étais graduellement en train de perdre l'usage de mes jambes.

Je préférais préserver ma place au sein du groupe des populaires, étant donné que pour l'instant, j'arrivais encore à marcher droit.

҉

Je vous épargne les termes scientifiques, biologiques ou autre qui se termine en ique. Malgré les efforts du médecin à me faire bien comprendre ma situation, tout ce qui m'était venu en tête était Stephen Hawking. Ce type bizarre, pas très brillant, qui n'arrivait même plus à bouger un doigt. Il avait un ordinateur qui parlait à sa place.

Non, je ne vais pas finir comme lui. Allons, faut pas paniquer ! C'est que ma petite autrice intérieure qui divague. Voyez, ça fait vingt minutes qu'elle se dit « c'est assez pour aujourd'hui, j'ai plein de trucs à faire demain, faut que je dorme », mais elle préfère passer son temps avec moi pour tenter de me réconforter. Elle n'est pas trop chou ?

Bon, il ne faut pas oublier que c'est elle qui choisit ma vie. Retenez-vous un peu, je ne crois pas qu'elle mérite ces fleurs. Si elle était gentille avec moi, premièrement, elle m'aurait donné autre chose que des fesses concaves.

Le monde d'à côtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant