VII- La visite

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« Parles si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence.»

  Les sous-sols de la Gestapo, Reims, mardi 9 juillet 1940, 21h50.

J'ouvre lentement mes yeux. Je suis allongée au sol sur le ventre dans une petite cellule froide et sale. Mon corps me fait terriblement souffrir. Ma chemise de nuit est elle aussi sale, déchirée. Malgré la souffrance, j'essaie de m'assoir. Je regarde par la petite fenêtre, la lumière qui traverse les barreaux m'indique que le soleil est en train de se coucher.

J'ignore depuis combien de temps je suis ici.

Une personne entre. Mon regard se trouve vers la porte.

Le colonel...

Il s'approche de moi, les mains derrière le dos.

- Comment tu te sens ? Je ne lui répond pas, j'ai très peur. J'ai qu'une envie, de mourir. Cet homme est un monstre. Faire torturer une fille de dix-sept ans, pour la seule cause, sa religion... J'appelle cela un monstre. Combien d'autres personnes a-t-il torturé ? Ou même... tué ? Il s'accroupit près de moi. C'est ce qu'il t'attend si tu me mens ne serait-ce qu'une seule fois. A présent, tu m'obéit. Il se lève. Lève toi, tu peux rentrer chez toi. Il s'avance vers la porte. J'allais oublier, si tu veux rester en vie, ne dis rien à personne et ne pense même pas à t'échapper, je te retrouverai.

Il sort de la cellule.

Franz le jeune soldat blond entre à son tour dans la cellule. Il me regarde avec pitié, et m'aide à me relever.

[...]


Je suis assise dans ma baignoire en train de fumer. Est-ce ma huitième ou neuvième cigarette depuis que je suis rentrée chez moi ? Je n'arrive pas à pleurer c'est étrange... Pourquoi ne suis-je pas morte ? Pourquoi ne m'a-t-il pas tué ? Les rumeurs sont donc vraies, les nazis détestent vraiment les Juifs, même ceux qui sont allemands.

Jusqu'à où leur haine vont-ils les emmener  ?

[...]


Cette nuit j'ai dormi dans la chambre de mes parents. Comme si j'étais à nouveau une petite fille et que je venais de faire un cauchemar. J'ai imaginé ma mère, en train de me murmurer une chanson tout en me caressant les cheveux. Et de me dire que c'était juste un cauchemar, que ce n'était pas la réalité.

Si seulement ce n'était qu'un cauchemar.

Mais je dois rester forte, dans quelques mois je partirai rejoindre ma famille. Et puis je ne veux pas attrister Isaac.

Quelqu'un toque à la porte. J'espère du fond du cœur que c'est Isaac.

J'ouvre lentement la porte pour voir qui est là.

C'est Rose. Je la laisse entrer, j'espère qu'elle n'est pas au courant.

- Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Comment l'a-t-elle su ?

Je me pince les lèvres, je n'ai pas envie de parler...

- Il m'a dit de ne rien dire, si je voulais rester en vie.

- Rebecca...

- Ne m'appelle pas comme ça. Je suis Alice Lambert. Dis-je froidement.

Je ne veux plus, plus jamais entendre ce maudit prénom.

- Oui d'accord... Alice, tu sais que tu peux tout me dire. Il t'a touché ? Je ne peux rien dire, c'est bien trop fort pour moi.

J'éclate en sanglot. Que cela me fait du bien...

- Alice, je suis tellement désolée. Me dit-elle en me prenant délicatement dans ses bras.

[...]

Reims, jeudi 11 juillet 1940, 21h30.

Isaac est chez moi depuis deux heures environ. Malgré la forte chaleur, j'ai mis une longue robe avec un gilet, pour cacher les hématomes que je possède.

Nous dînons tranquillement dans le jardin.

- Comment c'était chez ta tante ?

- Eh bien... fatiguant, les enfants sont loin d'être sages.

- Dis-moi, pourquoi tu as un gilet ? Me demande t'il soudainement.

- Je suis malade. Dis-je en me servant de l'eau, sans le regarder.

- Sérieusement Rebecca ? En plein mois de juillet ?

- Ne m'appelle plus Rebecca ! Tu m'entends plus jamais ! Cri-je en me levant brusquement.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Dit-il en se levant à son tour. Pourquoi es-tu si froide en ce moment ?

- J'ai juste peur Isaac... il y'a quelques jours j'ai fait un horrible cauchemar, j'avais été dénoncée, torturée. J'ai peur qu'il nous arrive malheur. Changer d'identité nous protégera pas... Malheureusement ce cauchemar était bel et bien vrai.

Isaac et sa famille, ont aussi récemment changé d'identité. Je ne sais pas qui est-ce qui leur a procuré ces papiers. Isaac se nomme à présent Émile Meunier. J'aurai voulu lui dire que cela ne sert strictement à rien de changer de nom, mais je ne peux pas. Peut-être que ce colonel me lâchera et tout redeviendra comme avant. Comme avant... Quelle drôle façon de penser.

- Mais Non... ne t'inquiètes pas, tant que je suis là rien ne pourra t'arriver tu m'entends ? Je te protégerai, et si il le faut, je donnerai ma vie pour toi.

Je m'approche de lui et le serre très fort dans mes bras.

- Verlasse mich niemals. ( Ne me laisse jamais. )

- Je te laissera jamais, ich verspreche es dir. ( Je te le promets. )

- Moi aussi je te le promets, peu importe ce qu'il m'arrive. Je me retiens de pleurer.

Après dix secondes de silence et de tendresse, des gouttes tombent du ciel.

- Il va pleuvoir... Rentre avant d'être trempé.

- Je n'ai tellement pas envie de partir.

- Je n'ai tellement pas envie de passer la nuit seule...

Il rit et m'embrasse.

Je l'accompagne jusqu'au portail.

Je me dirige en vitesse dans le jardin afin de débarrasser la table.

Tout à coup, je sens une présence derrière moi.

- Isaac du bist immer noch nicht nach Hause gegangen ? ( Isaac tu n'es toujours pas rentré chez toi ? ) Dis-je en souriant.

- Tu es encore plus séduisante quand tu parles allemand. Ce n'était pas Isaac...

Condamnée à Aimer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant