XXIX- Joie et angoisse

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« L'absence ni le temps sont rien quand on aime. »








Caserne des Waffen-SS, Paris,
vendredi 10 janvier 1941, 12h00.



( Je tenais à préciser, même si je doute fort que vous ne le saviez pas, que les conversations sont normalement en allemand, sauf que je les traduits directement pour faire plus court. )








Franz me tend le téléphone. Je le saisi d'une main hésitante. Hésitante car j'ignore si j'ai le courage de lui parler. Il se lève et s'avance vers la fenêtre, les bras croisés.





- Qu'est-ce qui se passe Franz ?

Cette voix m'avait tant manqué...

Cependant, je ne peux pas. Je raccroche aussitôt. Je n'ai pas cette volonté, ce courage pour lui parler. Pas aujourd'hui en tout cas. Franz se retourne et me regarde d'un air incompréhensif.



- Pourquoi vous avez raccroché ?

- Il le fallait. Je récupère mon sac et me relève. Ma pause s'achève bientôt, je dois y aller. Je suis désolée de vous avoir dérangé Franz. Je me dirige vers la porte et je remarque qu'il suit mes pas. Je connais la route, merci.

Je quitte la caserne très rapidement.

J'ai besoin de rester seule, même si je le suis déjà.







Hôpital Lariboisière, Paris,
dimanche 23 février 1941, 19h40.





- Tu ne descends pas ? Demande Erika en déposant ses linges sur son lit pour m'examiner.





- Je n'ai pas faim. Répondis-je en enfilant un second cardigan blanc sur ma robe de chambre en soie rose. L'hôpital est envahit par un froid rude et sec. J'ai en permanence froid, ce qui ajoute une autre difficulté à l'égard de ma grossesse.




- Tu dois quand même manger Gerda, tu n'as pris que trois kilos depuis janvier.
C'est très peu, surtout pour deux bébés.


Bien que nous sommes dans un hôpital militaire, des médecins m'examinent mensuellement. Je trouvais cela inutile au départ, mais les filles ont réussies à me convaincre.




- J'ai l'impression d'entendre Frau Walter. Dis-je en riant. Elle trouve que je ne mange pas assez. Je m'assoie sur mon lit en grimaçant à cause de mon ventre qui ne cesse de grossir chaque jours. Rien que de descendre et monter les escaliers me demande beaucoup d'effort.


- Gerda est-ce que tu te sens bien ? Tu as peut-être de la fièvre. Dit-elle en s'approchant de mon lit.


- Erika, je vais bien. La journée a été longue. Je vais me reposer. Tu veux bien me sortir une autre couverture s'il te plaît ? Dis-je en massant mon ventre.



- Oui bien sûr. Elle se dirige promptement vers le grand placard que nous partagions. Elle sort une grande couverture polaire grise.



- Merci.


- Reposes-toi bien alors. Elle me regarde aimablement durant de longues secondes avant d'éteindre la lumière et de quitter la pièce.





Le vent siffle et frappe les volets contre la fenêtre. Je n'ai jamais connu un hiver comme celui-ci. Depuis plusieurs mois, les routes sont recouvertes par des chutes de neiges massives ce qui immobilisent et compliquent tout déplacement. Trois mois ce sont écoulés depuis que je suis arrivée à Paris, depuis que je n'ai pas vu Oliver. Les coups de pieds de mes bébés s'accroissent. Mon ventre est si énorme, que des fois, sans l'aide d'Erika, il est impossible pour moi d'enfiler mes chaussures. J'aurai bien voulu qu'Oliver soit présent à mes côtés.
Je n'ai toujours pas reçu de coup de fil de sa part mais Franz qui vient me rendre visite régulièrement, me donne continuellement de ses nouvelles. Il m'a expliqué que si Oliver ne m'appelait pas, c'était une question de prudence. On ne sait jamais qui d'autre nous écoute. Surtout que, d'autres soldats étaient au courant pour nous, ils savaient qu'Oliver me fréquentait. Même si tous me croit morte, il faut être très prudent. C'est ainsi que j'arrive à m'endormir un peu plus paisiblement les nuits, en sachant qu'il va bien, même si l'angoisse et l'inquiétude me ronge constamment. Dans moins de deux mois, mes enfants viendront au monde et je ne sais pas où est-ce que je serais, où est-ce que nous serons. Je suis si fatiguée que mes yeux se ferment seuls. Je m'allonge sur le côté et tire la couverture. Je fais face à la lumière faible de la lune à travers les rideaux beiges.


Condamnée à Aimer Où les histoires vivent. Découvrez maintenant