Chapitre 8 / (Nouvelle Version)

1.8K 214 58
                                    

"Les gonzesses".

Il n'aurait pas osé nous appeler ainsi j'espère. J'étais encore en plein rêve ? J'avais devant moi l'archétype du bouseux campagnard, aux remarques sexistes, avec ses bottes en caoutchouc vert, pleines de terre et la salopette en jean. Manquait que le brin de blé dans la bouche pour compléter le cliché !

— Qu'est ce qu'il a dit le cul-terreux ? me demanda très sérieusement Margaux.

— Je crois qu'il voulait dire "mesdemoiselles le petit-déjeuner est servi", il n'aurait pas osé nous appeler gonzesses et nous sous-entendre qu'on avait des corvées à faire.

Victor leva un sourcil en nous entendant, puis il nous sourit de toutes ces dents que j'eus envie d'arracher une par une à la pince.

— Vous rêvez les princesses, le bétail ça attend pas. Alors vous levez vos gros culs de vos lits et vous venez m'aider donner le p'tit dej' aux moutons.

Avant même que je puisse utiliser l'argument infaillible de la grossesse (Microbe allait m'être bien utile pour m'asseoir dans le bus ou passer en priorité aux caisses !) Victor fila. Margaux sauta du lit, et d'un air renfrogné elle débita son monologue.

— Mais quel connard celui-là ! Je te souhaite du courage, moi je n'ai plus que quelques heures à le supporter avant de filer rejoindre Paris, son bruit, sa pollution, et ses enfoirés qui roulent comme des connards. Sans oublier Mme x, ma gentille boulangère. Je suis sûre qu'elle crache en douce dans mes cafés matinaux et s'essuie les aisselles avec mes croissants !

Tout en marmonnant, elle enfila ses vêtements, puis boucla sa valise. Elle partait en début d'après-midi, alors elle échapperait aux restes des tâches de la journée.

Nous descendîmes dans le salon pour manger un petit truc, mais c'était sans compter sur Victor qui nous attendait déjà.

— Allez go les minettes, on a du pain sur la planche.

— Il compte nous sortir tous les surnoms beaufs de son vocabulaire ? me murmura Margaux.

Mais avant que je n'aie le temps de répondre ou que Victor ne puisse surenchérir, le téléphone de Margaux sonna.

Visiblement quelque chose n'allait pas et le visage de ma meilleure amie se décomposa.

— Urgence à la maison, je vais devoir vous quitter plus tôt que prévu. Papa n'a pas l'air de savoir gérer seul bébé, surtout quand celui-ci semble avoir décidé de lui offrir sa plus belle gastro. Je vous passe les photos qu'il m'a envoyé.

Heurk, le caca et le vomi, très peu pour moi merci ! S'il y avait bien une chose que je redoutais, c'était bien ça !

J'eus le droit au regard de cocker de ma meilleure amie.

— Je suis désolée Lulu, mais tu vas devoir faire sans moi.

Au fond, je savais que ce moment allait arriver. Margaux ne pouvait pas rester éternellement auprès de moi. Ce n'était déjà pas prévu qu'elle m'accompagne, alors il était temps de faire avec. Après tout, c'était pour ça que j'étais venu ici: être seule pour trouver les réponses à mes questions.

Margaux fila prendre ses bagages pendant que mamie tentait vainement de modifier son billet de train pour le retour. Finalement c'est Victor qui lui vint en aide et trouva un train qui disposait encore de quelques places pour l'heure à venir.

Puis Mamie nous conduisit jusqu'à la gare où Margaux me prit une dernière fois dans ses bras avant de monter dans ce grand train qui l'emmenait loin de moi.

— Ça va aller ma Lulu, ça va le faire promit. Et si tu as besoin, tu m'appelles. Je reviendrais te voir rapidement, promis !

Il faut l'avouer qu'une fois le train parti, je me sentais seule. Margaux m'avait toujours suivie et soutenue et devoir affronter cette grossesse toute seule m'effrayait un peu. L'accouchement me donnait des cauchemars et la vie de maman solo, n'en parlons pas ! Alors devoir affronter ça sans ma meilleure amie, ça allait relever du miracle.

— Allez ma cocotte, intervint ma grand-mère devant mon regard de chien battu en direction de la gare.

Sa petite main vieillie par le temps vint tapoter ma cuisse, tandis que son regard tendre se posa sur moi.

— Tu vas bien t'occuper avec les moutons, tu n'auras pas le temps de te sentir seule !

Evidemment elle ne perdait pas le nord, ce qui m'amusa.

Ma grand-mère avait toujours porté beaucoup d'importance au travail. Elle était bienveillante, douce, mais très carré et rigoureuse. Lorsque nous venions petits, hors de question de se la couler douce, il fallait au minimum aider à la hauteur de nos capacités. Très jeune j'avais pris l'habitude de l'aider dans les tâches ménagères et à être autonome. Cela m'avait été d'une grande aide je l'avoue car j'ai rapidement appris à être indépendante, à me débrouiller seule sans l'aide d'un adulte. Les bêtises, j'en avais faites. Mais c'était toujours à moi de réparer mes erreurs.

C'est grâce à cette mamie un peu bourrue et droite que j'avais sû surmonter le divorce de mes parents, sur qui j'avais cette fâcheuse impression de ne plus pouvoir compter. Je me suis retrouvée balottée entre deux adultes, incapable de se supporter et on nous demande à nous, gamin paumé, de ne pas peter de cable. Et bien que très peu démonstrative, ma grand-mère l'avait apporté tout l'amour, le soutien et la stabilité qu'il m'avait manqué et qui m'avait permis de tenir bon.

— T'en fais pas mamie, je vais m'en occuper de tes moutons ! lui répondis-je en riant.

Le retour jusqu'à sa maison se fit en musique, au rythme des cailloux jonchant le sol et de Radio FM à tue-tête dans sa boîte de conserve roulante.

Plus tard dans la journée, Victor, qui semblait m'avoir laissé un peu de répit et m'avoir laissé le temps d'engloutir une bonne dizaine de crêpes au petit déjeuner, déboula dans le salon.

— Aujourd'hui, je t'ai laissé la paix, mais là j'ai besoin d'être ! La grosse Bertie est en train de mettre bas depuis plusieurs heures, et si quelqu'un pouvait m'assister pour l'agneau, ça serait cool.

Sans trop comprendre ce qui venait d'être dit et ce qui se passait, je vis ma grand-mère attraper des serviettes et enfiler ses bottes en un éclair, m'attrapant par le bras pour me mener vers l'enclos des moutons.

— Tu vas voir Lucie, c'est un moment très émouvant.

Quelques secondes plus tard j'étais là, regardant Victor, les mains littéralement DANS la brebis bien dodue, très bien nommée la Grosse Bertie, pour l'aider à expulser son petit, tandis que je grimaçais en voyant la taille de l'agneau qui était en train de sortir. Il me semblait si grand déjà !

A peine après cette naissance, Victor se dépêcha de couper le cordon, il vérifia que le petit respirait bien puis laissa la brebis venir lécher son agneau. Miam, un super mélange de sang et de liquide blanchâtre. Fort heureusement que nous n'ayons pas à faire ça, j'aurais été capable d'interrompre cette grossesse rien qu'à l'idée de lecher Microbe de fond en comble !

Lorsque le petit agneau se mit debout, seulement quelques minutes plus tard, et qu'il vint téter sa mère, Victor sembla soulagé.

— Une bonne chose de faite, la grosse Bertie va bien et nous avons un bel agneau en bonne santé ! Il faudra repasser voir d'ici quelques heures que le placenta est bien expulsé, et si nous avons besoin de faire venir le vétérinaire.

J'étais restée bouche bée devant ce spectacle. Victor se débrouille t-il aussi bien avec ses patientes qu'avec les moutons ? J'en avais presque oublié qu'il était gynécologue et non vétérinaire.

— Hé heu, tu fais ça tous les jours ? demandais-je curieusement

— Avec les brebis non, je suis plutôt spécialisée pour les femmes, répondit-il avec un sourire qui fait louper un battement à mon cœur.

Le voir à l'œuvre aujourd'hui m'avait fait découvrir une nouvelle part de lui, et soudain, le péquenaud un peu bêta de mon imagination était devenu un charmant éleveur au sourire craquant.

— D'ailleurs, va falloir qu'on se voit à mon cabinet demain toi et moi, termina-t-il.

Aïe. 

MICROBE / Nouvelle VersionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant