Chapitre 8

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Pourquoi me suis-je renfermée sur moi-même petit à petit, au fil des années ? J'ai connu des personnes malintentionnées, qui m'ont fait perdre toute confiance en moi. Déjà qu'au début la confiance n'est pas à son sommet, si en plus, tu rencontres des personnes qui te rabaissent, je ne te raconte pas le mélodrame. J'ai connu différents bouleversements dans ma vie, mais j'essaye toujours de relativiser, de me dire que ce n'était pas grave, qu'il y a plus important dans la vie, et que d'autres ont vécu pire. Je pense surtout que j'essaye de me rassurer, de minimiser les événements pour les faire paraître moins conséquents.
La première forme de renfermement sur moi-même, c'était il y a quelques années. Je ne m'en rendais pas forcément compte, mais de jour en jour, je me refermais. J'étais en classe de CM2, en primaire. La première chose que je me suis dite, c'est : « Ça n'existe pas. C'est un mythe. Ça n'arrive qu'aux autres. Ce n'est qu'une passe ». Ouais, une passe qui a pratiquement duré une année entière de scolarité. La seconde chose, c'est que j'étais en primaire. Nous ne sommes que des enfants, après tout. Lorsqu'on en entend parler dans les médias, c'est toujours vers le collège voire le lycée. En primaire, les élèves ne sont que des enfants, ils ne savent pas ce qu'ils disent, ce qu'ils font, ils ne jugent pas la valeur de leurs mots ou de leurs actions. D'accord, et dans les collèges et les lycées, alors ? Ils font du mal intentionnellement, et pas dans les écoles primaires ? Pourtant, nous n'ignorons pas, personne, que chaque année, chaque mois, chaque jour, un ou plusieurs élève met fin à sa vie parce que la douleur était trop dure à supporter. Et que répondent les bourreaux ? « Nous ne savions pas que ça irait aussi loin. Nous ne lui voulions pas autant de mal ». Que ce soit en école maternelle, primaire, ou dans le supérieur, ce délit reste le même délit, et ne devrait pas être pris plus à la légère dans un cas ou un autre. Donc, je pense que, dire à une enfant, une adolescente, « ce n'étaient que des enfants », ne réglera pas le questionnement ; « pourquoi moi ? », et tous les autres questionnements qui suivront son développement. Au contraire, cela ne fera qu'aggraver la situation, et elle se demandera très longtemps : « Pourquoi ai-je autant laissé des enfants m'atteindre ? Ils ne savaient pas l'ampleur de leurs mots. Nous n'étions que des gamins ». En plus, le pourcentage d'élèves qui se disent victimes, est le plus haut dans les écoles primaires. Je ne pense pas qu'il faille prendre un type d'harcèlement par sa catégorie d'âge, par son lieu, par le nombre de personnes, ou par son aspect émotionnel, physique ou les deux, d'une manière plus laxiste qu'un autre.
J'ai vécu du harcèlement. J'ai été victime de moqueries, d'insultes, de bourrage de crâne, d'intimidation et de brutalisation. Oui, j'étais en primaire. Oui, j'étais une enfant. Oui, mes harceleurs étaient eux-mêmes des enfants. Mais en quoi cela ferait-il que je n'aie pas ressenti une douleur atroce de couteau froid dans le dos, et que toute ma vie après n'en a pas été chamboulée ? Crois-moi, ça m'a détruit. Crois-moi, ils ont eu les bons mots pour taper là où ça pouvait faire mal. Crois-moi, j'ai mis du temps à m'en remettre, et j'y pense encore aujourd'hui. Crois-moi, j'ai réussi à aller de l'avant, et à les pardonner. La chose la plus compliquée a été de me pardonner moi-même.
Je me suis tout de même demandée comment des enfants de cet âge pouvaient avoir des propos aussi crus, aussi blessants et aussi méchants. Mais que se passait-il dans leurs petites têtes ? Pour dire, à leur « meilleure amie », qu'elle n'accomplira jamais rien dans la vie, qu'elle ne sera jamais aimée, appréciée, et qu'on préférera l'abandonner ? Pour lui crier des insultes à tout bout de champ, des injures que je n'ose même pas écrire. La suivre chez elle, la bousculer, rire d'elle et se moquer à longueur de journée. Pour qu'elle passe certaines de ses récréations seules dans les toilettes, sans rien n'y comprendre. Pour qu'elle rentre chez elle, disant à ses parents que tout va bien ; parce qu'au fond d'elle, elle le croyait sincèrement. Elle ne comprenait pas, et vivait tout ceci comme « une passe, rien de plus ». Tout allait s'arranger.
Cette épreuve m'a forgée. Ce qui ne tue pas, rend plus fort, n'est-ce-pas. Hélas, tout le monde n'y survit pas. J'aimerais émettre un hommage à toutes ces personnes, qui sont tombées face contre terre à cette lourde épreuve. Qui n'ont pas su se relever, n'ont pas pu, n'ont pas voulu. Elles sont mortes, et rien ni personne ne pourra les ramener. Pendant que leurs bourreaux, eux, continuent leur vie. Les balles ont traversé leur corps déjà vide d'une telle violence, que leur mince gilet pare-balles n'a rien pu y faire. Ne les oublie pas, ces victimes. Ces enfants, ces adolescents, ces femmes, ces hommes, qui ont subi du harcèlement, qui n'ont pas réussi à sortir la tête de l'eau, qui se débattaient ; pendant qu'à plusieurs, on leur maintenait la tête pour qu'ils se noient. De même, il ne faut pas oublier les harceleurs. Vous pouvez toujours vous racheter, vous pouvez toujours vous pardonner vous-même, et vous pouvez toujours faire de bonnes actions dans l'avenir. Ne jetez la pierre à personne, le plus important est d'apprendre de ses erreurs.

Broken and LostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant