Deux jours après la piscine, nous sommes vendredi. Je suis dans la cour avec mes amis, et un garçon qui était en « crush » sur moi, depuis quelques temps, depuis qu'il avait commencé à me parler par message privé sur Instagram. Je n'étais pas sûre de ça, et surtout ne voulais pas le croire, mais c'est ma meilleure amie qui me l'a annoncée au courant de cette journée – le garçon en question est dans sa classe. Le problème, c'est qu'elle m'a énoncée qu'il voulait passer du temps avec moi, en dehors du lycée. J'ai pris peur. Une peur bleue terrible dans la file de la cantine. J'ai essayé de ne rien laisser paraître, parce que ce n'est rien du tout, ce n'est même pas un rendez-vous ou quoi que ce soit. Ce n'est rien. Elle m'a ensuite dit, que si je préférais, elle pourrait lui dire que je n'étais pas intéressée. Je ne lui ai pas répondu, lui faisant bien comprendre que c'était ridicule, j'arriverai à m'en débarrasser moi-même. Alors, oui, mais pas de la meilleure façon qui soit, ni celle que j'aurai imaginé.
Ce jour-là, j'étais infiniment fatiguée et stressée. Stressée, je ne pensais pas l'être tant que ça, mais en réalité, je le suis tous les jours à cause du lycée. Et stressée, à cause de ce garçon. C'est sans doute ridicule, mais je n'avais pas envie qu'il m'approche. Il est très gentil, très drôle, je pense même intelligent, quoique bizarre. Mais je ne veux pas qu'il entre dans ma vie. Je ne veux pas qu'il me connaisse. Je ne veux pas qu'il connaisse mes pensées, mon intimité, je ne veux pas qu'il me comprenne. Je ne suis pas prête à avoir de relation amoureuse à proprement parler, et surtout, de le laisser entrer dans ma vie, et ainsi tout chambouler. Une peur horrible de l'engagement, de devoir faire confiance à autrui, et de le laisser avoir confiance en moi. Et d'un autre côté, ce qui est très contradictoire, c'est que j'espère être aimée et chérie depuis si longtemps. Si longtemps que je veux être avec quelqu'un, connaître ces sentiments-là. Mais ce n'est pas en allant avec la première personne rencontrée que ceci marchera. Loin de là. Malheureusement, c'est une erreur que je vais commettre.
Nous sommes alors dans la cour, il fait froid. Très froid. J'ai mon énorme manteau gris, fermé de toutes parts, le vent n'y rentre pas. D'un coup, mon cœur se met à accélérer. Je ne comprends pas, mes pensées se bousculent dans ma tête. Je ferme les yeux. Fort. Mes oreilles bourdonnent, je ne distingue plus les paroles des personnes qui m'entourent. Leurs voix et leurs rires ressemblent à un essaim d'abeilles énervé. J'ouvre les yeux. Je regarde autour de moi, mon cœur continue de tambouriner comme un fou. Je m'apprête à le voir sortir de ma cage thoracique tant il fait du bruit. Mes yeux papillonnent. J'ai l'impression qu'ils sont ouverts comme si j'étais folle, regardant partout telle une mouche. Je me mets à trembler. Violemment. De la tête aux pieds. D'un seul coup mécanique, j'attrape et serre fort mon amie la plus proche de moi. Elle me demande si je vais bien, je ne réponds rien, et continue de trembler. Elle me dit de la serrer comme je l'entends, même si je lui fais mal, ce n'est rien. Nous remontons les marches qui mènent à l'intérieur de l'établissement, vers les escaliers, les autres qui nous suivent sans sûrement trop savoir pourquoi. Elle me pose dos contre les casiers les plus près du mur, et me conseille d'enlever les boutons de mon manteau. Je ne parle toujours pas, essayant de contenir la cadence de mon cœur, ma respiration, et mes tremblements.
J'ai chaud. Je meurs de chaud. J'ai l'impression que chaque millimètre de ma peau prend feu. Je sens la chaleur me monter au visage, je dois être d'un rouge écrevisse. Je brûle de l'extérieur, et mon intérieur est glacé. Sans crier gare, je crie. Je crie à m'en fendre l'âme, à m'en déchirer les cordes vocales, à en réveiller les morts. A l'intérieur de moi, tout se brise. Mon cœur s'effrite puis explose en mille morceaux noirs de sang gelé. Mon souffle se coupe. Je n'arrive plus à respirer. Je suffoque. Je ventile. Je panique. Je vais mourir. Je n'arrive plus à bouger. Je ne pense plus. Mes pensées se gèlent dans le temps. Je ne vois plus. J'ai de la buée sur les verres. Ma vision se brouille, elle devient floue. Ceci ne s'arrête pas là, car mes cris se mélangent à de longs sanglots. Des sanglots sourds et bruyants. Déchirants comme les éclairs dans le ciel noir d'un soir d'orage. J'ai l'impression de mourir de l'intérieur et que l'on m'arrache. Mes larmes n'arrêtent pas de couler, les flots sont continus, et des hoquets discontinus apparaissent. Les vannes ne se ferment plus. J'ai le visage rempli de larmes, qui descendent rapidement mes joues et mon menton, pour se loger et s'écraser au creux de mon cou. J'ai mal aux yeux, à la cage thoracique, et à mon cœur, à force de toutes ces épreuves que mon corps subit. Je perçois des bras qui me portent presque, mais je ne sens rien en réalité. Je continue encore et toujours d'hurler ces cris alarmants. Je vois tant bien que mal le visage de la surveillante, inquiet mais calme et rassurant. Elle demande d'aller voir l'infirmière. Elle se trouve au deuxième étage. Mon amie qui m'a aidée jusque-là, ayant la langue bien pendue, lui répond en criant que je n'arriverai jamais à l'atteindre avant de tomber dans les pommes. Je ne réfléchis pas vraiment, mais je pense que c'est la vérité. Je m'assied robotiquement sur la chaise, regardant d'un œil absent mes amis qui m'attendent dehors. Elle ouvre la fenêtre, elle me dit d'ouvrir mon manteau complètement, mais qu'est-ce que j'ai froid d'un coup. Mes cheveux virevoltent à l'air du vent, ma peau commence à se parsemer de chair de poule, et mes poils se dressent. Je ne pleure plus. Je ne crie plus. Mon cœur se calme doucement. Mon souffle essaye de se caser à la vitesse de mon cœur. Je pose ma main droite au milieu de ma poitrine, je ferme les yeux, inspire, expire. La surveillante me demande si je vais bien, si cela m'était déjà arrivée, si je suis stressée, si je veux qu'on appelle mes parents. Oui. Non. Non. Non. Deux mensonges. Voire trois, mais je n'ai pas envie d'inquiéter mes parents. Et puis, il me reste un cours à suivre. Ce qui est étrange, c'est que tout s'arrête d'un coup. Comme si c'était un mauvais rêve, que cela ne s'était jamais passé. Et pendant un long moment, je le crois. Je me dis que c'est impossible que j'aie réussi à autant perdre le contrôle sur moi-même. Je me sermonne. Je repense à ces cinq, maximum dix minutes précédentes, et j'ai l'impression de voir quelqu'un d'autre, que cela arrive à quelqu'un d'autre et non à moi. Je ne contrôlais plus rien, je n'étais plus maîtresse de mon propre corps. Et ça, ça fait peur. En tout cas, personnellement, ça me fait extrêmement peur. Je ne sais même pas pourquoi c'est arrivé, ni comment, ni rien du tout. C'est arrivé. C'est tout. Et si c'est arrivé, ça doit être pour une bonne raison.
L'infirmière arrive. Elle me pose des questions, les mêmes que la surveillante :
- Tu te sens bien en ce moment ? Tu n'es pas trop stressée ?
- Non, non, ça va merci, réponds-je avec ma voix tremblotante.
- Tu es sûre ? Je hoche la tête. Il te reste combien d'heures de cours, dis-moi ?
- Une seule. J'ai physique-chimie.
Elle expire, réfléchis et me dit :
- Tiens, je t'ai rapporté de l'eau avec un sucre, ça te fera du bien.
Je regarde le verre et le sucre posé sur la table, mais qu'est-ce que tu veux que je foute avec ça ?
- Cela ne t'étais jamais arrivée auparavant ? Je secoue la tête lentement, presque imperceptiblement de gauche à droite. Bon, je vais te faire un mot pour ton prochain cours, la récréation est terminée.
Nous montons ensemble au premier étage, pendant qu'elle écrit un mot de retard dans la catégorie « passage à l'infirmerie ». Elle me dit que je peux aller la voir quand je le souhaite, pour lui parler, et me redemande encore si je suis stressée. Je lui dis que ça va, j'ai déjà connu pire comme état de stress. Et c'est la vérité. Cette semaine, je n'étais pas si stressée que ça, pour faire ça, sans ne jamais l'avoir fait auparavant. Je retourne en cours, je suis la dernière à arriver, mais le cours n'avait même pas commencé. J'ai les jambes qui flageolent encore un peu, et je m'assieds à ma place, dos contre le mur.
Finalement, je n'ai même pas pris son maudit sucre. Non, mais sérieux. Je n'ai pas fait de l'hypoglycémie, j'ai fait une putain de crise de panique ! A quel moment tu donnes un sucre, genre « miracle, le sucre, c'est la réponse à tout, allez ». Allez dans un hôpital pour les cancéreux, on verra si votre sucre fonctionne. Et cette question du stress. Forcément que je suis stressée. Les professeurs, le corps encadrant, le futur, la société, les gens autour – hors mes proches – stressent. A longueur de journée. Et puis, désolée, mais cette infirmière prend un peu la chose à la légère tout de même. Elle m'a parlée, quoi, peut-être deux minutes ? Et on voit bien qu'elle n'est pas encline à m'aider, avec son bout de sucre, et ses questions banales. Après, forcément, elle ne va pas me faire cracher le morceau, ou me garder jusqu'à ce que je parle, avec un pistolet sur la tempe et une lumière massacrante dans la tronche. Mais tout de même.
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Broken and Lost
Non-ficțiuneD'un coup, le monde entier s'effondre. Tout te semble trop compliqué. Tu es perdu. Tu es fatigué, tu n'en peux plus de vivre. La vie est devenue trop compliquée. Tout ne tient qu'à un fil. Et la seule question suspendue à tes lèvres demeure celle-ci...