Chapitre 4

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Une fois arrivée aux grandes portes du lycée, j'entrouvre la petite poche arrière de mon sac à dos, et montre rapidement mon carnet de liaison au surveillant sur le pas de la porte. Chaque fois que l'on sort ou que l'on entre dans l'établissement, il faut que chaque élève montre son carnet au surveillant. Il me semble que c'est une disposition mise en place depuis les attentats, c'est une sécurité Vigipirate. Je ne trouve pas que ce soit énormément efficace, mais au moins, ils font un effort. Ils font un semblant de se bouger le cul. Que ce soit utile ou non, au moins, ils ont la conscience tranquille.
Je rentre dans le lycée, précédée et suivie par mes amis. On s'attend en haut des escaliers, puis on va ensemble jusqu'à nos casiers respectifs. Je réfléchis à ce que je prend comme cours dans mon sac ; merde, j'ai piscine ce matin de huit heures à dix heures. Je dépose alors toutes mes affaires – enfin le peu d'affaires que j'ai – de mon sac, dans le casier. Ce casier, je le partage avec mon amie, que j'ai rencontré en classe de seconde, et avec qui je partage encore la même classe cette année. Je regarde d'un air absent mon casier, et je m'aperçois assez rapidement que tous mes livres et tous mes cahiers sont ici, dedans, bien au chaud. Enfin, au chaud, façon de parler. Le couloir et les casiers sont d'un intérieur glacial. Je ne serai pas étonnée de retrouver l'eau de ma bouteille congelée. Une fois le casier fermé avec le cadenas, je retourne sur mes pas, et ressors dans le froid matinal. Je repositionne mes écouteurs d'une main, puis la remet dans la poche de mon manteau. Je marche d'un pas rapide, seule, dans le noir du matin qui s'éclaircit petit à petit. Je marche environ cinq à dix minutes, puis arrivée à la piscine, je monte les escaliers. Je rentre à l'intérieur, mes lunettes se remplissent de buée, génial. Je les laisse sur mon nez, et attend patiemment qu'elle s'évapore. Nous ne sommes pas beaucoup, même pas une dizaine. Certaines sont peut-être mortes dans le froid, qui sait. J'exagère à peine. Ce n'est pas mon genre. D'autres, doivent sécher. Je les comprend. C'est le matin, il fait encore nuit, il fait froid, c'est la période où tout le monde est malade, c'est bon, n'en rajoutons pas plus avec la piscine. La professeure, elle, même si elle vient en voiture, elle arrive toujours à être à la limite de l'heure de début. Je vois mon amie arriver, elle me fait la bise, on papote un petit temps, puis elle monte directement les marches de l'escalier pour s'asseoir sur les gradins plus tard. Parfois, nous faisons le chemin ensemble, parfois non. Cela dépend de nos bus respectifs, ou autre, mais c'est quand même rare que l'on ne soit pas ensemble. La professeure tape dans ses mains, elle nous enjoint de la suivre pour aller nous changer. Petit changement de programme :

- Vous allez aller dans les cabines communes, aujourd'hui. Les cabines individuelles ne sont pas libres, renseigne une femme de la piscine.
Quelques souffles de mécontentement, puis, elle rajoute, non sans un rire hypocrite :

- Enfin, voyons, nous avons toutes le même corps, n'exagérez pas. Il est formé pareil pour toutes les filles, alors une paire de seins ou de fesses, hein. Ne faites pas vos pudiques.

Idiote. Abrutie. Quel amassé de conneries. Bien sûr, nous sommes toutes des filles – parce que oui, étrangement, mais tant mieux, il n'y a aucun garçon dans notre groupe de sport – mais ce n'est pas pour cette raison qu'on a envie de se trimballer à poil devant tout le monde. Certaines sont plus pudiques que d'autres, et souhaitent plus d'intimité, je ne vois pas le problème là-dedans. Et non, nous n'avons pas toutes le même corps. Ça, c'est une réflexion idiote et sans fondement. Oui, chaque corps est joli à sa façon, chaque corps a ses qualités et ses défauts, et personne ne devrait en avoir honte, ou le cacher. La beauté est subjective, et différente pour tout le monde. Mais tous les corps de chaque être humain est différent, au millimètre près. Alors nous dire, à des gamines de seize, dix-sept ans, qui avons un corps qui ne cesse de se transformer depuis le collège, et qui continue de le faire, que nous avons toutes le même corps, et ne pas « exagérer » parce qu'on a toute une paire de fesses et de seins, laissez-moi vous dire d'aller vous faire voir.
Je suis donc le troupeau de filles pour aller vers la cabine, rentre, puis observe les alentours. Certaines sont déjà à moitié nues, parlent entre elles, comme si de rien n'était. Je trouve ça étonnant la manière dont on peut être différente. Certaines s'en contrefichent totalement, se dénudent, parlent, se déplacent, comme de rien. D'autres, un peu plus réservées, se déshabillent de dos, torse vers le mur, sans trop parler ni bouger. Et d'autres, une infime partie, comme moi, ne se déshabillent pas du tout. C'est-à-dire que l'on va essayer de trouver des astuces, de faire fonctionner notre cerveau pour essayer de se déshabiller sans que personne ne voit rien. Pour cela, on met une serviette autour de nous, ou on met le maillot de bain par-dessus les sous-vêtements, puis on enlève ceux-ci délicatement. Ou alors, encore mieux, vous arrivez à dénicher une petite cabine au fond du vestiaire, et vous vous y changez. Paradis. Ce n'est qu'une fois que j'entends des voix masculines de l'autre côté de ma porte, et que ça tambourine sur les côtés de cette sorte de cellule, que je comprend que la cabine dénichée jouxte entre le vestiaire des garçons et des filles. Je me dépêche alors quand même un peu, ressors, enlève mes lunettes, m'attache les cheveux, et vais sous les douches. C'est incroyable comme je ne vois rien. Il pourrait y avoir un mammouth que je ne ferai pas la différence avec un humain. Je n'exagère jamais, j'ai dit. Je me mouille vite fait, l'eau est glacée. Je prend ma serviette, mon sac, j'essaye de repérer ma copine non sans mal dans les gradins, elle tend le bras et le secoue, puis je dépose mes affaires à côté d'elle. Je redescends délicatement les marches en faisant attention de ne pas en louper une, et m'assois en frissonnant sur les marches plus bas, à côté des autres filles.

La myopie, c'est... la merde. Tout simplement en fait. Ça t'arrive, petit à petit, tu vois le tableau flou. Tu te dis, « la vache, je m'en tiens une bonne ». Tu te frottes les yeux, tu essayes de dormir plus, les jours qui viennent. Mais quand même, t'es en primaire, t'es pas hyper fatigué en primaire. Puis, du coup, t'en parle à tes parents. Tu vas voir le pédiatre, ta vue a baissé. L'année passée, tu avais dix sur dix. Bravo. L'année d'après, mieux vaut ne pas le dire. Les autres années, le pédiatre ne fait plus l'observation, il laisse ça à son collègue, l'ophtalmo. Puis finalement, arrive le jour où tu reçois tes lunettes. Ça gêne ces trucs au début. Ta vision n'est plus aussi grande qu'avant, t'as des carreaux tout petits, tu vois les contours des lunettes, et il faut baisser et monter la tête, au lieu de simplement les yeux. Tu les mets que pour lire, pour voir de loin. Aïe, ta vue chute, six mois après. Alors tu les mets tous les jours, tout le temps. Sauf pour dormir. Mais elle continue de baisser, cette coquine. Vient alors le moment, pour toi, cher myope, d'essayer de t'accepter avec des lunettes. Courage, on y arrive tous à un moment. Comme on arrive tous à s'habituer au fait que l'on ne distingue plus les distances ni les surfaces avec nos yeux sans correction. Je n'ai jamais été bourrée, mais le champ de vision ressemble peut-être à ça, au final. Ou lorsque tu essayes les lunettes de quelqu'un d'autre, alors que toi, tu n'as pas de maladie aux yeux.

Broken and LostOù les histoires vivent. Découvrez maintenant