Pile ou Face

3. Loi américaine

    J'ouvre doucement les yeux, les rayons du soleil passant par le store me réchauffent la peau. Je coche mentalement une troisième croix dans mon calendrier imaginaire, c'est mon troisième jour sur le continent américain, j'ai l'impression d'être là depuis des semaines et en même temps tout me semble nouveau à la fois. Je m'étire doucement avant de me lever, je jette un coup d'œil  ma valise ouverte dans le fond de la pièce, il faudrait peut-être que je la défasse, un jour.

Je sors de ma chambre et je traverse le couloir, une porte ouverte intrigue mon attention et je regarde l'intérieur du coin de l'œil. Je m'immobilise quand je comprends que c'est la chambre de June. Sa chambre est immense, ses grandes fenêtre permettent au soleil d'illuminer la pièce mais ce qui me cloue sur place surtout c'est le grand poster qui orne son mur blanc.

- Elle est sublime, hein ?

  Je sursaute à la voix June, je l'avais pas entendue arriver par derrière. Elle entre dans sa chambre et m'invite à en faire autant mais je reste bloquée sur le pas de la porte le regard toujours rivé sur son mur.

- Tu... Tu sais qui c'est ? Bégayais-je en pointant la danseuse sur son mur.

  June hoche fièrement la tête.
- J'ai trouvé la photo sur Internet et je l'ai faite imprimée en format poster. J'en ai d'autre si tu veux.

  Je secoue la tête plus pour chasser cette idée de ma tête que lui donner une réponse.

- Alors tu as toujours su qui elle était ?

  Ma voix est beaucoup plus agressive que je le voudrais.

- Bien sûre, mon père me racontait tout le temps leur histoire quand j'étais petite, pas toi ? 

- Non.

  June détourne le regard embarrassée et je tente de digérer la nouvelle. Pourquoi je ne sais rien de mon père alors que June sait tout de ma mère ? Sa mère. C'est bizarre de me dire que c'est pas seulement la mienne à moi.

- Mes amis ont envie de te rencontrer ça te dis ? Ce sera les mêmes qu'hier, Emma, Luca et Jacob. Je te promets que Jacob n'est pas si lourd qu'il n'y paraît, il veut juste se trouver une copine mais il lui reste encore à perfectionner ses techniques de drague. On a parlé hier et il a promis d'arrêter de jouer les séducteurs, sauf si c'est ce que tu veux ?

 - Je suis pas intéressée. La rassurais-je.

  Elle pousse un soupir de soulagement.

- Tant mieux parce qu'il est pas sérieux dans ses relations et j'ai pas envie de te retrouver le cœur brisé.

  Je secoue la tête, c'est clair que ça n'arrivera pas. Je crois pas en l'amour. Enfin pas au mien.

- Ils proposent qu'on se retrouve au Sunset pour prendre le petit déj, ça te tente ?

  J'acquiesce et June pousse un petit cri de joie. Je souris et elle me demande d'être prête dans vingt minutes. Avant de sortir de sa chambre je lance un dernier regard à Maman en tenue de danse sur le poster.

  Le Sunset est un petit bar-restaurant qui parait très conviviale puisque à peine nous arrivons que Willfrid, le patron si j'ai bien compris, vient saluer June et ses amis. On s'installe à une table près du comptoir et mes yeux s'agrandissent quand nos plats arrivent, ce n'est pas un petit-déjeuner mais un royal festin.

- T'es partie un peu vite hier, me fait remarquer Emma, je suis désolée si c'est à propos de ce que j'ai dit sur ta mère.

- J'étais juste un peu fatiguée. Mentis-je en faisant un sourire forcé.

  Je picore dans mon assiette écoutant à moitié leur conversation, c'est un peu dur à suivre parce qu'ils parlent tous en même temps et très vite. Je finis par décrocher quand je comprends qu'ils parlent de gens de leur lycée, mon regard s'attarde sur les clients du restaurant. C'est fou le monde qu'il y a, en France c'est rare que les restaurants soient ouverts pour le petit-déjeuner alors de là à ce qu'ils soient remplis...

Je suspends ma fourchette en l'air et mon regard se bloque sur le tiroir que vient de refermer Willfrid.

- Ça va Violette ? Me demande gentiment Emma. 

  J'aimerais lui donner une réponse cohérente mais mes lèvres se mettent à trembler sans que je puisse les contrôler.

- Eh, qu'est-ce qui se passe ?

  Je tends ma main tremblante en direction du tiroir.

- Il... Il y a un... Je peux pas rester ici ! M'écriais-je en me levant brusquement pour sortir.

  June passe les porte battantes du Sunset et me rejoint.

- Ça va ?

  Je secoue la tête.

- Il a un pistolet dans son tiroir. Lui chuchotais-je. Il faut pas rester là-bas.

  June me regarde surprise avant d'éclater de rire.

- Mais Violette c'est normal, il va pas s'en servir contre toi c'est juste au cas où. Pour se protéger.

- Comment ça c'est normal ? M'affolais-je. Me dis pas qui en a une chez toi ? J'ai pas pu dormir sous le même toit qu'une arme sans m'en rendre compte !

- Calme-toi Violette. Tout le monde en a une ici, ça devrait plutôt te rassurer de savoir qu'on a de quoi se défendre si on se fait attaquer.

- Me rassurer ? M'écriais-je. Mais comment ça pourrait me rassurer de savoir que vous avez une arme ? Tu sais ce que ça peut faire ? Enlever la vie à quelqu'un.

  Mes sanglots redoublent et June passe un bras autour de mes épaules pour me réconforter.  Les portes du Sunset s'ouvrent à nouveau sur les amis de June qui nous rejoignent, elle leur explique rapidement la situation et ils tentent de me rassurer sur le sujet.

- Tu n'as vraiment rien à craindre, la Californie c'est l'État le plus strict sur les armes.

  Les paroles de Luca ne me rassurent pas vraiment mais je hoche quand même la tête.  

On décide qu'il est préférable que je rentre et June me raccompagne jusqu'à sa maison. Je m'en veux un peu de la séparer encore une fois de ses amis à cause de mes caprices. J'ai le don de tout gâcher.

Mon regard est attiré par la maison voisine et quand je vois le garçon de la veille sortir de sa maison je peux m'empêcher de demander à June si elle le connaît.

- Noah ?

  Je confirme d'un hochement de tête et elle me regarde interloquée.

- Tu lui as déjà parlé ? Insiste-t-elle effrayée à l'idée que s'ait pu arriver.

- Non, c'est juste que ça fait plusieurs fois que le croise, je suis curieuse c'est tout.

  Pourquoi je suis entrain d'essayer de me justifier ? En tout cas, mes paroles ont l'air de rassurer June.

- Franchement ce type est un malade, si la vue d'un pistolet te fait flipper alors lui adresser la parole devrait te donner des sueurs froides.

  Et avant que je puisse lui demander plus d'explications elle me pousse à l'intérieur de la maison tout en fusillant sa silhouette du regard.