Trois n'était pas encore venu pourtant déjà beaucoup de personnes avaient voté. Ils semblaient tous bien décidés malgré le choix étrange de personnalités conseillées. Ma mère, elle, semblait inquiète.
J'avais établi mon bureau à l'intérieur de son atelier, et non devant comme je l'avais annoncé il y a deux jours. Je n'avais pas pu résister à la tentation de voir ma mère pendant une semaine. Dès mon arrivée, elle m'avait serrée contre elle jusqu'à ce que je ne puisse plus respirer.
Revenir à l'atelier avait ravivé des souvenirs, bien sûr. Cet endroit était comme ma deuxième maison. Quand j'étais petite, je venais souvent après les cours pour tenir compagnie à ma mère et faire mes devoirs jusqu'à ce qu'elle ait finit sa journée. C'est de là qu'était venue l'idée d'être son mannequin personnel bien que je ne me rappelle plus de qui elle était venue. Cet atelier m'avait alors vue défiler un nombre incalculable de fois dans un camaïeu infini de tenues.
Je me souvenais encore du jour de mes seize ans où ma mère voulait que j'essaye la robe de mariée que ma mère venait de confectionner. Son œuvre était d'une beauté sublime mais, par respect pour sa cliente, j'avais refusé. Ma mère avait insisté, prétextant qu'elle ne voulait pas rater cette commande et que j'étais son porte-bonheur. J'avais fini par accepter et enfiler la robe. Je ne m'étais encore jamais trouvée si belle. La crinoline blanche et violette se mariait avec mon teint et le bustier en cœur épousait parfaitement mes formes. Pour la seule fois de ma vie, j'avais trouvé que ma coiffure détruisait le tableau. Puis Trois avait fait irruption dans l'atelier sans s'annoncer, me faisant redescendre sur terre. D'un blanc laiteux, mon visage était passé à un rouge pivoine sans transition et j'avais filé furtivement hors de sa vue pour me changer. C'était la dernière fois que j'avais essayé une des créations de ma mère.
Malgré ça, je m'y sentais bien. C'était mon havre de paix. Il avait connu des moments complices avec ma mère, des fous rires et beaucoup de chutes - soit parce que je ne savais pas marcher avec des talons, soit parce que je me prenais les pieds dans les pans de la robe que je portais - mais jamais une seule larme. Rien ne pouvait arriver ici.
La sonnette de la porte d'entrée tinta, me sortant de ma rêverie, et je levai la tête pour voir de qui il s'agissait. La déception se peignit sur mon visage lorsque je découvris que ce n'était pas mon frère, puis mon sang se glaça en reconnaissant le nouveau venu. L'ancien Dissaire.
- Miss Summers, dit-il poliment à l'intention de ma mère, sortie de son bureau pour saluer le visiteur.
Elle se rembrunit aussitôt en découvrant de qui il s'agissait.
- Ma, hum, Reine ? dit-il en se tournant vers moi.
Je savais qu'il viendrait voter mais je redoutais secrètement qu'il vienne à mon bureau.
Il ferma la porte à clé et tourna la pancarte pour qu'elle affiche "Fermé" aux clients. Il nous refit face.
- Monsieur, hum, l'escroc ? répliqua sèchement ma mère.
- Ne soyez pas si insolente, Miss Summers.
- Vous n'êtes plus mon Dissaire, je vous parle comme il me plaira.
- Voyons, pas d'animosité. Je suis simplement venu voter.
Ma mère avança d'un pas, menaçante, pour se mettre entre lui et moi.
- Vous n'approcherez pas de ma fille.
Pour toute réponse, il eut un petit sourire.
- Je ne vais pas lui faire de mal, promit-il.

VOUS LISEZ
Khāsa
Science FictionDepuis la Déclaration de Suppression de l'Occident, le Monde Oriental vit dans la méfiance. L'Europe, l'Asie et l'Afrique ne se font plus confiance. Ils vivent plus séparés que jamais. Les tensions sont à leur paroxysme. Il n'y a plus d'alliance mai...