Chasseurs d'Ombres - Chapitre 1

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« Nerys ? Attrape ça ! »

Mon père me lance un sac de marchandises qu'il décharge du camion avec les renforts des membres des escouades en repos, et je l'attrape comme je peux. Mon père m'adresse un regard plein de douceur, et je lève les yeux au ciel. J'aimerais qu'il me traite comme un autre de ses soldats, mais je sais bien que c'est difficile pour lui. Et puis je suppose qu'il est naturel pour un père de considérer son enfant comme son bébé. Je n'ai que douze ans après-tout.
Mon père était très jeune à la création du camp, et il a toujours dit qu'il voulait rétablir une forme d'enfance, dans ce monde qui ne tolérait l'innocente jeunesse que très peu de temps. Je hausse les épaules : je ne veux pas être traitée comme une petite fille. Je veux prouver que je peux lui être utile. Il est évident que le camp a besoin de mains, alors évidemment que nos enfances s'écourtent. Je ne vois pas bien où est le problème. C'est dans l'ordre des choses, et je l'accepte, tout simplement.
Je me tourne pour récupérer un autre sac, et me prends un coude en plein front. Le cri de mon père résonne comme un coup de canon alors que ma tête part en arrière dans un gémissement étouffé par la surprise:

« Ajax ! Fais attention à ma fille ! »
« Ce n'est pas un endroit pour une gamine, tu n'as qu'à faire preuve d'autorité pour une fois, Icare, cingle l'intéressé. »

Je lève les yeux sur lui en attrapant un autre sac, tâchant de ne pas montrer que j'ai mal à la tête, à cause de cet idiot. Je l'assassine du regard et il me rend la même animosité du sien. De toute manière, nous fréquentons la même école lui et moi, alors ce n'est qu'un coup parmi tous ceux qu'il me donne dans la semaine.
Ajax a quatre ans de plus que moi, et il se prend pour un sage. De ceux qui siègent au Conseil, et prennent les décisions pour la communauté. Idiot.
Mon père essaie toujours de faire preuve de patience avec lui, parce qu'il sait qu'il est orphelin. Il passe beaucoup de temps avec lui, à l'entraîner, à lui apprendre des choses, comme il dresserait un chien galeux. Il essaie sûrement de le rendre un peu civilisé. Il l'a trouvé dans une ville à l'extérieur, pendant un raid, et il doit se débrouiller tout seul dans sa petite maison maintenant. Moi je trouve que c'est bien fait pour lui.

« Tiens, Nerys, reprend mon père en me tendant un autre sac. »
« C'est ridicule, ronchonne Ajax, on irait plus vite sans elle, il me jette un regard assassin. On ne peut même pas dire qu'elle apporte sa bonne humeur, elle ne parle pas. »

Je ne relève même pas, attrapant le sac que me tend mon père alors qu'il m'adresse un regard d'excuse pour essayer de tempérer le comportement de son apprenti. Quand je serais grande, je ferais pendre ce chien galeux, et tous les regards de mon père n'y changeront rien. Le monde se portera bien mieux sans son orgueil et ses remarques. C'est comme ça que je me réconforte quand Ajax me fait des croche-pieds, à l'école. Je le pendrai, lui et tous les autres chiens de sa bande de vauriens. Il croit qu'il a sa place ici, mais il n'est qu'un invité. Qu'un idiot parmi tant d'autres. Idiot.
Notre ville s'appelle la ''Lavandière'', à cause de la plante violette qui prolifère partout autour des murs. Les étrangers l'appellent ''L'îlot'' parce que les fortifications sont longées par trois rivières très larges, qui donnent l'impression que la cité flotte. Elles constituent d'ailleurs notre meilleure défense. Même en été, bien que le flux soit bien moins puissant, la décrue n'est pas assez forte pour que les Ombres atteignent les remparts. De même que n'importe quel humain. Il faut qu'on leur tende le pont-levis.
Je lève les yeux sur Ajax, qui récupère les sacs et les pose dans la remorque de Zéphyr, le transporteur dédié à cette cargaison, sans le moindre problème. Ça m'énerve de constater qu'il a plus de force que moi. Et qu'il en joue. La camionnette est remplie à ras-bord de sacs, de caisses, et d'autres contenants qui abritent des denrées ramassées à l'extérieur des murs de la cité. Je sais que c'est très dangereux, on nous le rabâche assez à l'école, mais j'adorerais savoir ce qui se passe dehors. J'en rêve depuis toujours. Je rêve de marcher dans les pas de mon père, d'aller explorer le vaste monde, et découvrir les secrets qu'il nous cache. J'ai grandi avec ces histoires fabuleuses, de mondes vifs, de personnes complexes, j'ai grandi dans les légendes et les hypothèses, et je trépigne à l'idée de sortir, inscrire ma propre histoire dans la légende. Je regarde mon père pendant qu'il distribue les sacs, trie et étiquettes, et je me sens pleine de courage. J'ai tellement hâte de lui montrer que je suis digne d'être son héritière, de le rendre fier.
Mais quand je vois avec quelle facilité Ajax récupère les sacs, alors que moi je ne peux prendre que les plus petits, et avec une certaine difficulté, je me dis que ce n'est pas pour tout de suite. Pourtant j'ai bon espoir, et je ne ménage pas mes efforts pour leur emboîter le pas. Ça prendra la temps qu'il faudra.

Chasseurs D'Ombres - Le secret des coloniesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant