Chasseurs d'Ombres - Chapitre 3

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« C'est l'heure, annonce ma mère en tirant sur la robe de ma sœur pour en balayer les plis, va chercher Midas, Cassiopée

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« C'est l'heure, annonce ma mère en tirant sur la robe de ma sœur pour en balayer les plis, va chercher Midas, Cassiopée. »
« Oui, maman, elle répond docilement. »

Elle m'adresse un sourire et s'enfuit par la porte d'entrée, à laquelle j'étais appuyée. Cassiopée a toujours conscience de ma présence dans la pièce, elle sait toujours où je me trouve, comme si elle avait développé un radar pour pallier à ma discrétion. Elle a bien grandit, en six ans. Malgré mon silence, nous n'avons jamais autant connu le village, ma sœur et moi, que depuis la mort de mon père. Je trouve ça assez ironique, mais de toute façon, je suppose toujours que si les gens me côtoient, c'est parce que ma charmante et si charismatique petite sœur passe son temps à mes côtés. C'est un peu inévitable pour s'attirer ses bonnes grâces.
Je reporte mon attention sur ma mère. Elle aussi a changé en six ans. Ses traits sont creusés, et d'immenses cernes maculent son visage comme deux tâches d'encre. Elle est toujours très jolie, mais on lit dans son regard le poids des souvenirs qui la plongent dans cette tristesse permanente comme un nuage sombre au-dessus d'elle. Cela fait bien longtemps qu'elle n'est pas sortie pour autre chose que les commémorations de mon père. Sa peau est devenue pâle, presque translucide. Maladive. Les années n'ont effacé ni sa peine, ni sa haine à mon encontre.

« Tu pourrais faire un effort, gronde-t-elle. »

Je lève les yeux, surprise qu'elle me parle. La majorité du temps, elle s'applique à m'ignorer. La dernière phrase qu'elle m'a lancée semble être devenue une ligne de conduite. Elle s'emploie à ne plus me considérer comme sa fille. A me parler comme à une étrangère, lorsqu'elle daigne me porter attention. Elle époussette nos canapés nerveusement en complétant :

« Ta tenue. Il s'agit de la commémoration de ton père, tu aurais pu faire un effort. »

Je lève les yeux au ciel. Mon père n'avait que faire de ma tenue, lorsqu'il était en vie, et je doute que cela ait changé à présent qu'il est mort. Je fais déjà l'effort de me présenter à ces stupides commémorations, deux fois par an, j'estime faire ma part de sacrifice. Ces fichues réunions appellent toujours les victimes du carnage, et quelques familles, à se rejoindre pour pleurer sur des tombes vides. De moins en moins de personnes y viennent, et je les comprends. Le temps efface, guérit les plaies et les souvenirs. Je comprends qu'ils en profitent puisqu'ils le peuvent. Je les envie.
Mais je suppose que ce n'est pas réellement ce qu'elle me reproche. Elle m'en veut de ne plus parler, et de ne pas lui expliquer ce qui s'est passé ce jour-là. Midas lui a raconté que j'ai parlé avec la créature, à coup sûr, que j'ai réussi à communiquer avec elle. Il lui a dit qu'il ne savait pas comment elle avait passé les rivières, même si certains pensent qu'elle aurait voyagé dans un animal, le temps d'arriver à un être humain – ce qui entre nous n'a pas le moindre sens. Jamais un animal n'a été utilisé comme hôte par une Ombre, ça se saurait. Mais je suppose que le Conseil a fait courir ce bruit pour rassurer les populations. Même moi j'ai conscience qu'un bon mensonge vaut mieux qu'une terrifiante vérité, si elle peut éviter un vent de panique incontrôlé chez les citoyens. Midas a sa propre théorie, pour sa part, et ne s'est pas privé de la colporter dans les bars. J'aurais contrôlé cette chose, je pourrais leur parler, et les attirer. Ma mère plus que les autres, a pris cette affirmation pour argent comptant, et n'accorde plus sa confiance à personne, dès lors qu'ils m'adressent la parole. Excepté mon ''oncle'', évidemment. Et ma jeune sœur, qui semble trouver grâce aux yeux du couple. Parce qu'il va de soi que lui, en revanche, n'a pas cessé de me parler. Il renouvelle sans cesse son catalogue de piques acerbes et de critiques. Cet homme est tellement créatif, c'en est effrayant.
Ma mère lève les yeux pour me fusiller du regard, agacée par mon silence. Depuis le temps, le choc est passé, et elle se doute que c'est devenu plus un choix qu'une fatalité. Je parle parfois, dans les souterrains, avec Cassiopée. Nous nous y réfugions le soir, avant de rentrer, pour discuter un peu, à l'abri des regards. Pour répondre à ses questions incessantes, ou juste parce que c'est agréable de pouvoir se confier. Je pense que ma mère se doute de nos conversations, mais elle n'a aucun moyen de me forcer à parler. Ou alors elle n'en sait rien, mais elle a besoin d'une raison pour me haïr. Nous avions réussi à renouer un simulacre de relation, un an après le décès de mon père. Mais tout est mort lorsque, réveillée par un cauchemar en pleine nuit, j'ai vu Midas quitter sa chambre à pas de loup, non sans claquer un baiser bref sur ses lèvres. Nos regards se sont croisés, et malgré mon apparente nonchalance, mon flegme perpétuel, j'ai deviné que c'était terminé pour nous. Qu'il n'y avait plus aucune chance pour qu'on communique à nouveau un jour. Elle m'a regardé, et je me souviendrai toujours de son expression méprisante lorsqu'elle a fermé sa porte. Quelques secondes auparavant, j'aurais presque pu deviner de la culpabilité dans son regard. Une forme de surprise gênée. Mais ensuite, la porte s'était claquée sur son visage sévère. Comme si elle me tenait pour coupable de ces actes. Comme si elle estimait que c'était de ma faute si elle s'abaissait à choisir Midas pour nouveau mécène. Comme elle fermerait la porte sur toute la partie de sa vie la liant à mon père. Et à moi.

Chasseurs D'Ombres - Le secret des coloniesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant