Lorsque j'aide Cassiopée à se hisser dans notre grotte, quelques heures après que nous nous soyons quittés, avec le reste de l'escouade, je ne fais pas la fière. Je n'en mène clairement pas large. Je sais que cette conversation que j'ai profondément redoutée depuis que ma mère m'en a fait la réflexion, est toute proche. Et je dois admettre que j'ai peur.
J'ai peur de sa réaction, et j'ai peur de me retrouver sans elle. Je crois que je commence à réaliser ce qui m'arrive, et je n'aime pas ça. Je ne peux pas me dérober. Et pourtant, je sens mon cœur palpiter juste en me rappelant de ce que j'ai vécu aujourd'hui. Et en pensant que je n'aurais personne avec qui le partager, lorsque je serais loin d'ici.
J'inspire profondément, et me hisse à mon tour pour prendre place dans notre refuge, à Cassiopée et moi. Le jour décline à peine, mais les grottes sont désertes à cette heure. Surtout ce recoin des grottes. Cassiopée est silencieuse, ce qui n'est pas dans ses habitudes, mais je n'ose pas la lancer sur un sujet. J'ai tellement de choses à lui dire. Et les mots restent coincés dans ma gorge. Je ne trouve pas le courage de les prononcer.
Le silence s'éternise alors que nous nous installons, côte à côte mais toutes deux adossées au mur nu de la caverne. Je sens qu'elle sait ce dont je veux lui parler. Elle est installée à côté de moi, elle me touche à peine. Elle a l'air aussi troublée que moi.
« Maman dit que tu vas mourir là-bas, finit-elle par lâcher. »Je ne sais même pas quoi ajouter. J'ai envie d'en vouloir à notre mère, mais je sais qu'elle a eu raison de lui dire. Elle ne savait si j'avais l'intention de lui en parler ou non, et elle doit la protéger. Elle doit la préparer à l'idée que je ne revienne pas. Quelque part, même si je suis contrariée, son comportement me rassure. Je sais que je n'abandonne pas complètement Cassiopée. Je la laisse aux mains de quelqu'un qui saura prendre soin d'elle. Je suis inquiète concernant Midas, évidemment, mais il n'a jamais touché ma cadette, jamais. Et je me demande d'ailleurs encore si c'était de sa propre volonté, ou si ma mère y a imposé son veto, pour une fois. Dans les deux cas, elle est en sécurité. Elle est entourée, on prendra soin d'elle en son absence. Bien qu'en hibernation momentanée, Midas a toujours ses capacités de soldat pour lui, il la protégera comme il l'a toujours fait, au moins pour rester dans les bonnes grâces de ma génitrice, pour qui la survie de ma cadette importe bien plus que la mienne, à priori.
J'inspire profondément, confortée dans l'idée que je prends la bonne décision. Tout le monde sait que j'ai des capacités inédites pour notre village. Tout le monde connaît les rumeurs sur la mort de mon père. Ici, je suis une paria, je suis crainte, je n'ai jamais eu ma place. Avec ma nouvelle équipe, avec ceux qui me ressemblent tant et croient en moi, je pourrais faire quelque chose de cette aptitude. Je pourrais transformer ce qui me rendait monstrueuse ici en quelque chose de fantastique à l'extérieur. Et c'est ce à quoi j'aspire. Que tout ça ne soit pas arrivé pour rien. Que je rende mon père fier de moi.
Et puis, plus égoïste et discrète, il y a cette petite part de moi qui gronde. Cette part sauvage et brûlante de curiosité, qui réclame d'aller voir ce qui s'étend derrière les murs. Ma mère nous décrivait toujours, mon père, puis moi, comme des animaux sauvages. Fougueux, ivres de liberté. Mon père n'a jamais réussi à s'installer, comme elle, à poser ses valises pour ne plus partir. Elle le lui reprochait souvent. Mais qu'importait, il se sentait appelé par le monde. Appelé par tout cet inconnu qui ne demande qu'à être exploré. Appelé par ce monde gorgé de mystère et de connaissance qu'on pourrait cueillir comme des fruits mûrs. Et je marcherais dans ses pas.
Cassiopée me fixe, et je reporte mon attention sur elle. J'acquiesce en prenant une grande inspiration. Ça mérite des explications, mais je ne sais même pas par où commencer. Je n'espère pas qu'elle comprenne, elle en a déjà tant fait pour son jeune âge ... Je me doute qu'elle a du mal à comprendre ma volonté de partir. Je me doute qu'elle m'en voudra. Mais je suis préparée. Pourtant, elle ne se redresse pas pour me couvrir de reproches. Elle prend une inspiration tremblante, et souffle :
VOUS LISEZ
Chasseurs D'Ombres - Le secret des colonies
ParanormalPersonne ne se souvient de quand les Ombres se sont abattues sur le monde. C'était il y a des centaines d'années, les gens n'ont pas eu le temps de se mobiliser, de transmettre leur savoir, trop occupés à se battre pour survivre. Et la priorité pour...