14. L'art de prendre une douche froide

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« Sasha ?

- Mmh ?

- Elle est où ta mère ?

- J'en sais rien. Peut-être qu'elle est dans un autre pays, je t'avoue que j'en ai pas grand chose à foutre.

- Ah... Elle est pas cool ?

- C'est une connasse de première oui. Pourquoi tu poses la question ?

- On l'a pas vue et t'as parlé de ta belle-mère du coup je me demandais si t'avais une famille aussi dysfonctionnelle que la mienne. Mon père aussi s'est barré quand j'étais petite.

- Et il envoie des cartes postales à ton anniv' et à Noël tous les ans en te racontant à quel point sa nouvelle vie est géniale et qu'il ne changerait ça pour rien au monde ?

- Non, c'est pas un bâtard à ce point quand même.

- Tant mieux, c'est pas ouf comme relation. »

Le silence reprit ses droits dans la chambre et Sasha remonta la couette sur ses épaules puis juqu'à son menton pour chasser le froid soudain qui s'était emparé d'elle. Depuis un long moment maintenant, elle n'arrivait pas à dormir et Aqua non plus. À entendre les ronflements d'ours de l'autre côté du mur, les garçons ne semblaient pas avoir pas ce problème. Alors les deux filles parlaient de tout et de rien, surtout de rien à vrai dire, mais la jeune femme avait tout de même réussi à aborder le sujet qu'il ne fallait surtout pas évoquer. La mère de Sasha.

Elle la haïssait, vraiment. Elle ne ressentait pour cette femme rien d'autre qu'une haine viscérale qui ne faiblissait pas depuis maintenant une bonne quinzaine d'années. Elle n'avait pas été présente, jamais. Elle avait laissé Sasha sur le pas de la porte au beau milieu de l'été un mois, à peine, après sa naissance et n'était revenue qu'une fois seulement lorsque la jeune fille n'avait alors que six ans. Elle avait eu besoin d'un toit, après s'être attiré des ennuis qu'elle n'avait pas su régler tout de suite et avait eu besoin de prendre du recul, selon ses propres dires. Du haut de ses six ans, la rouquine avait vu son père se donner corps et âme à cette femme qu'il croyait pouvoir séduire à nouveau. Lorsque quelques temps plus tard elle était partie sans un mot dans la nuit, sans un merci ni un au revoir, Fredrik Mikkelsen avait été brisé et même les câlins à l'époque encore fréquents de sa fille unique n'avaient pu tarir les larmes et encore moins faire taire la douleur d'un coeur qui s'était brisé pour la deuxième fois. Sasha admirait son père depuis toujours et ne supportait pas l'idée qu'on puisse traiter un homme tel que lui d'une telle manière, comme un moins que rien. Son père, il méritait le monde.

Elle se souvenait encore du jour où il lui avait présenté Julie, celle qui était à présent sa belle-mère. Elle s'était tout de suite méfiée de l'autre femme, envisageant de la menacer avec un couteau à beurre pour que jamais elle ne lâche son père. Elle ne voulait plus le revoir aussi brisé qu'il l'avait été. Et même si son père avait été lent à la détente et plutôt méfiant avec cette nouvelle relation, la belle-mère de la rouquine s'était accrochée, elle était restée, elle comprenait tout ça même si la séparation avec son ancien mari s'était faite de manière bien plus cordiale. Et désormais, elle faisait partie de la famille avec son fils, Samuel. Lorsqu'on lui demandait comment s'appelait sa mère, Sasha répondait directement en citant le prénom de Julie et ne disait pas de Samuel qu'il était son demi-frère mais bien son frère. Chaque lettre de sa génitrice avait soigneusement été déchirée en mille morceaux et jetée dans le lac, année après année.

À force de penser à tout ça, la rousse finit par s'endormir pour de bon, l'esprit embrumé. Néanmoins, elle fut réveillée quelques heures - secondes plutôt, si on lui demandait son ressenti - plus tard par une sensation de froid intense suivie d'un rire tonitruant qui s'éloignait. Ouvrant les yeux, Sasha prit deux secondes pour se rendre compte qu'on venait de lui balancer un verre d'eau glacée à la figure et pour reconnaître le propriétaire de ce foutu rire.

Elle allait le tuer.

« Silas Inkios t'as intérêt à courir vite sale petit con, je vais te buter ! »

Sans perdre de temps, la rouquine dégagea la couverture de ses jambes et se précipita en courant dans les escaliers, dévalant les marches quatre à quatre en suivant tant bien que mal les pas d'éléphants de l'autre abruti qui ne perdait rien pour attendre. Elle faillit bien se tordre la cheville lorsqu'elle arriva tout en bas mais elle se rattrapa de justesse à un Pin mort de rire qui passait par là et qui lui indiqua la porte d'un signe de tête, un grand sourire sur le visage. Sans réfléchir, Sasha fonça à la poursuite du barman dont elle ne ferait qu'une bouchée. Elle ouvrit la porte sans ménagement, la faisant claquer contre le mur extérieur, et elle le vit qui faisait une pause en se tenant les côtes un peu plus loin, l'inconscient. Aussitôt, elle se jeta sur lui, n'en ayant rien à foutre de se casser la gueule dans la neige, d'ailleurs ça l'arrangeait même. Elle prit une bonne poignée de neige qu'elle lui fit bouffer comme elle le pouvait, ravie de voir son visage se tordre en une expression horrifiée.

« C'est dégueulasse !

- Tant mieux, c'est le but ! »

Elle essaya de lui en faire bouffer une nouvelle poignée sauf que, dans sa précipitation, elle avait baissé sa garde et il en profita pour renverser la situation en la poussant sur le côté, lui faisant rencontrer la neige. Les mains tenant ses bras de sorte à ce qu'elle ne puisse plus le menacer - elle aurait dû prendre un couteau à beurre sur le chemin tiens, cela lui aurait été utile - il ne fit même pas mine de cacher son sourire en coin et Sasha eut un brusque sursaut de conscience. Elle crevait de froid. Beaucoup trop. En même temps, c'était sûr que lorsqu'on se retrouvait en plein dans la neige, en t-shirt à manches courtes et culotte, ce n'était pas super confort niveau température.

« Alors, on fait moins la maline hein ?

- Si je lève le genou tu peux dire adieu à ta descendance, réfléchis bien à ce que tu vas faire. »

Elle le vit hésiter une seconde avant qu'il ne se relève et ne lui tende une main pour l'aider à se relever. Elle l'accepta de mauvaise grâce et fut prise par surprise lorsqu'il lui embrassa brièvement le front avant de détaler en riant légèrement comme si de rien n'était. Trop choquée pour lui courir après, Sasha resta bien deux minutes au beau milieu de la neige à fixer la maison d'un air ahuri. Que... Que s'était-il passé ? Pourquoi ? Lorsqu'enfin elle se mit à bouger, ce fut pour aller prendre une douche bien chaude histoire de se réchauffer sans trop penser à ce qui s'était passé à l'extérieur, l'eau brûlante lui mordant la peau et lui permettant de ne pas analyser et repenser de trop à la scène précédente. Elle avait mieux à faire, mieux à penser, du moins c'était ce qu'elle essayait de s'ancrer dans la tête.

En revenant dans les pièces communes, elle tomba sur son père qui était revenu avec des croissants et des pains au chocolat pour tout le monde et s'était posé dans un coin de la cuisine en lisant le journal en diagonale avant de rejoindre le fauteur de trouble pour discuter alcool. Peter et Aquarius parlaient en souriant comme des niais de la mer, des États-Unis et du boulot, en bref, la routine pour ces deux-là qui finiraient sans doute par se mettre ensemble d'un jour à l'autre au plus grand bonheur de Sasha. Comme quoi elle aurait dû maintenir son pari avec Silas, elle aurait vraiment fini par se faire un peu d'argent, chose sur laquelle elle n'aurait certainement pas craché.

« Papa, t'as encore les patins ou pas ?

- Ouais, dans le coffre de la bagnole je crois, sinon c'est dans le placard à merdes dans le garage. Vous allez patiner ?

- S'ils ont envie oui, ça peut être cool et ça nous fera sortir.

- Oh oui !

- Trop cool !

- D'accord. Faites gaffe à vous les jeunes quand même, la glace est encore toute récente, certains endroits du lac risquent d'être encore un peu fragiles mais je vous fais confiance pour pas vous noyer.

- Bon les gars, couvrez-vous, on va patiner.

- Ouaaais ! »

Décidément, Aquaponey était pire qu'une enfant quand elle décidait de s'y mettre. Se levant, ils allèrent tous se couvrir de pulls, manteaux, gants, écharpes et bonnets - l'attirail du bon petit skieur en somme - et Sasha ramena les quatre paires de patins en leur montrant comment les enfiler si jamais il y avait des pas doués dans la bande. Et il y en avait, aucun doute là-dessus.

Effleurer les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant