44. L'art de faire un break

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Comme d'habitude, Aqua piquait une crise. Sasha qui se tenait non loin d'elle, affalée dans le canapé, n'écoutait pas le nouveau caprice de son amie. Elle n'en pouvait plus. Depuis l'enterrement, c'était toujours la même chose. La rouquine comprenait et essayait de garder son calme, vraiment. Mais parfois, les crises de nerfs d'Aqua étaient simplement de trop durant les mauvais jours comme celui-ci. Silas semblait être redevenu muet. Il n'avait pas décroché un mot depuis deux jours et ce nouveau silence donnait à Sasha l'envie de hurler. Quant à Aqua, elle avait bel et bien retrouvé sa voix alors que la façade de Sasha fondait à présent comme neige au soleil.

Elle était fatiguée. Fatiguée de s'obliger à être forte et à aller de l'avant sans jamais rien montrer pour ne pas inquiéter les autres quant à son réel état émotionnel. Fatiguée d'entendre son cerveau lui dire qu'elle n'avait pas à se comporter ainsi alors que son coeur lui soufflait que si, c'était son devoir d'agir de la sorte, que c'était normal, qu'elle ne faisait que soutenir ses amis dans une passe plus que difficile. Fatiguée de se retenir de pleurer alors qu'Aqua s'énervait tous les jours pour un rien, fatiguée de sentir le silence de Silas peser sur ses épaules, étouffant. Fatiguée de se comporter comme si rien ne pouvait l'atteindre et qu'elle pouvait tout encaisser. Il fallait se rendre à l'évidence, elle en était incapable.

Sasha se leva brusquement et jeta un regard absent à Aqua qui l'observait d'un oeil mauvais. Elle avait envie de la gifler. De la secouer. De lui hurler dessus. Parce qu'elle n'arrivait plus à supporter ces éruptions de colère qui n'étaient que des manifestations de plus de son deuil. Parce qu'elle n'avait pas à supporter ça alors qu'elle faisait déjà de son mieux pour que sa vie soit plus allégée. Elle avait appelé les patrons de tout le monde, s'était occupé de négocier les congés pour maladie, le salaire toujours versé et elle n'avait pas eu un remerciement, pas un. Elle n'en avait pas demandé, n'en voulait pas et au fond, n'en avait rien à faire. Mais à cet instant, elle aurait voulu balancer à la face d'Aqua tout ce qu'elle faisait pour eux, tout ce qu'elle faisait pour elle, juste pour que son amie se rende compte qu'elle aussi, elle souffrait.

« Je me casse. »

Sur ces mots la porte claqua. Pas un regard en arrière, pas une seule excuse, elle n'en avait rien à faire. Silas n'a pas réagi, Aqua non plus. Elle n'entendait pas la porte s'ouvrir et se fermer derrière elle. Elle aurait presque envie d'en rire. Ou bien d'en pleurer. C'est vrai, pourquoi se soucier d'elle ? Pourquoi lui courir après, s'enquérir de son état, s'assurer qu'elle ne fasse pas une connerie ? C'était Sasha. Elle irait bien, elle n'avait pas vraiment mal, c'était une dure à cuire, elle ne pleurait quasiment pas. C'était Sasha. Elle allait forcément bien. Non ?

À l'extérieur, tout lui paraissait faux, exagéré. Hypocrite. Le sourire des passants, la brise fraîche, le bruit incessant de la circulation et même ce satané soleil qui ne parvenait plus à lui réchauffer le coeur. Elle déambula sans but dans les rues, les yeux ancrés sur un point fixe à l'horizon et ne prêtant aucune attention à son entourage. Un ou deux passants la bousculèrent, s'excusèrent en maugréant quelques mots inaudibles et puis s'en allèrent aussi vite qu'ils étaient apparus. Bientôt, il n'y eut plus grand monde dans les allées et le silence qui régnait alors en maître apaisa quelque peu l'esprit de Sasha qui finit par s'arrêter devant le cimetière.

L'atmosphère n'était ni froide ni lugubre alors qu'elle passait entre les tombes tel un fantôme glissant sans un bruit. Non, l'air était léger et malgré le chagrin qui lui enserrait la poitrine, Sasha se sentait bien. Au bout d'une poignée de minutes, elle s'arrêta, les yeux fixés sur la sépulture recherchée. Peter Grant. 1997 - 2019. Des fleurs avait été déposées devant la stèle, sans doute par quelqu'un qui pensait bien faire. La rouquine prit le pot et le déposa sur la tombe d'à côté. Elle n'avait pas apporté de vodka. Elle aurait peut-être dû, pour honorer Pin en se saoulant comme si elle n'avait rien de mieux à faire. Elle n'avait rien de mieux à faire. Elle s'assit.

Effleurer les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant