Effleurer les étoiles

10. L'art d'être malade comme un chien

Sasha était malade. Un coup de froid, selon son propre diagnostic. Elle avait accusé - mentalement, parce qu'elle ne lui avait toujours pas renvoyé de message - Silas et son vol de couette lors de la nuit qu'elle avait passé chez lui, ça l'arrangeait car cela lui donnait une raison de plus pour l'éviter et l'exécrer en paix. Elle qui voulait sortir pour profiter de son dimanche, elle restait dans son lit, allongée à fixer le plafond, comme si elle attendait que la mort vienne la prendre. Sans doute qu'elle dramatisait quelque peu la situation, mais c'était à peu près ça.

Elle espérait néanmoins être sur pied d'ici lundi histoire de ne pas devoir louper une journée de travail. Elle savait bien que ça ne dérangerait pas sa patronne mais ça la faisait chier de poser un congé maladie alors qu'elle n'y bossait pas depuis si longtemps que ça. Surtout qu'elle allait sûrement demander une semaine pour les vacances de Noël qui arrivaient dans deux semaines alors mieux valait se faire bien voir jusque-là pour ne pas risquer de se faire recaler à la dernière minute. Distraite par les vibrations incessantes de son téléphone, la rousse se rendit compte qu'il s'agissait de son père qui essayait de la joindre. Allons bon.

« Ouais ?

- Bonjour jeune fille, content de voir que tu vas bien, moi ça va, on se porte comme un charme, l'avancement des travaux n'a aucun retard, il fait super beau, c'est très gentil à toi de prendre des nouvelles !

- Euh... pardon ?

- C'est ça ouais. T'es malade ? T'as une voix bizarre. Enfin, pas pire que d'habitude.

- Papa, sérieux. Pourquoi t'appelles ?

- J'ai pas le droit de prendre des nouvelles de ma fille préférée ?

- Je suis ta seule fille.

- Je sais, dur dur de ne pas avoir le choix hein. Non en fait j'ai une proposition pour toi. Pendant les vacances qui arrivent, Samuel va au ski avec des amis et Julie retourne s'occuper chez ses parents la première semaine. Du coup je suis seul à la maison, ça te dirait de venir ? Amène tes amis si tu as su t'en faire, ce sera sympa.

- Ouais on verra, je dois bien pouvoir ramener deux trois personnes pour que tu te sentes pas trop seul.

- Super, hâte de te voir !

- Tu penseras à prendre une douche hein ?

- Parle mieux à ton vieux père.

- Un jour peut-être, salut ! »

Sasha raccrocha immédiatement, le sourire aux lèvres. Leur façon de se parler paraissait étrange pour beaucoup, mais c'était une manière de se montrer leur affection. En grand gaillard du nord, Fredrik Mikkelsen n'avait jamais été très à l'aise avec les déclarations et démonstrations d'amour, un trait de caractère dont avait hérité sa fille qui était tout sauf douée en terme de relations sociales, amicales comme amoureuses. Forcément, quand on était habitué à parler aux autres en leur lançant des piques, ça n'aidait pas à se lier d'amitié avec les coincés du cul des villes. Avec Aquaponey, ses piques passaient mais la rouquine avait conscience qu'elle devait tout de même faire attention à ses dires, histoire de ne pas aller trop loin. Avec Peter, elle était elle-même parce qu'il avait de la répartie, un peu, et qu'il n'avait pas l'air d'en avoir grand chose à faire. Et avec Silas... Ouais. Ils passaient le plus clair de leur temps à se balancer des piques et à se charrier pour de la merde. Et elle l'aimait bien quand même. Un peu, quoi. Ok, leurs interactions se limitaient à ça mais ça ne voulait rien dire. Rien du tout.

La jeune femme était contente de pouvoir retourner chez elle le temps d'une petite semaine. Ce n'était pas la maison dans laquelle elle avait grandi, certes, celle-ci appartenait à sa belle-mère, Julie. Mais celle-ci, très chaleureuse, avait toujours fait en sorte que Sasha s'y sente comme chez elle, lui ayant même prévu une chambre alors qu'elle était en internat quand elle était encore lycéenne. De plus, la maison était en campagne, à quelques centaines de mètres d'un grand lac qui gelait à coup sûr tous les hivers et où il était vraiment sympa de faire du patin à glace. Oui, rentrer à la maison lui ferait un bien fou, et revoir son père également.