Ce fut un mouvement brusque à ses côtés qui fit Sasha se réveiller en sursaut au beau milieu de la nuit. Elle voulut d'abord essayer de se rendormir, non sans lâcher un grognement mécontent au passage, avant de se rendre compte qu'Aquarius respirait beaucoup trop fort et semblait pleurer. Elle essayait de rester la plus discrète possible mais les reniflements répétés ne trompaient pas la rouquine. Merde.
Sasha se releva et s'adossa au mur derrière elle en jetant un regard incertain à son amie puis à son téléphone qu'elle avait laissé à côté d'elle avant de s'endormir. Quatre heures du matin. Son esprit était embrumé, elle ne savait pas comment agir. Elle dégagea d'un geste maladroit les cheveux qui lui barraient le visage et se pencha sur le côté pour allumer la petite lampe qui trônait sur le tabouret qui servait de table de chevet.
« Que... Qu'est-ce qui se passe ? »
Son amie leva vers elle des yeux hagards, l'air complètement perdue puis éclata en sanglots qui n'avaient plus rien de discret. Sasha se mordit la lèvre inférieure avant de se rapprocher d'elle et de passer un bras réconfortant autour de ses épaules. Elle ne voyait pas vraiment quoi faire de plus aussi s'assurait-elle d'apaiser un tant soit peu les tremblements devenus presque incontrôlables d'Aqua. Son coeur, témoin de son stress frôlant la panique, battait la chamade dans sa poitrine.
« Il... Il était... Il était là.
- Pin ?
- Oui. Je... J'y arrive pas. »
Une nouvelle vague de larmes eut raison de la jeune femme et sa voix se brisa aussitôt qu'elle eut fini de parler. Sasha sentit son coeur se serrer douloureusement. Elle détestait voir Aquarius ainsi, détestait se sentir aussi impuissante, détestait cette sensation de n'être qu'une spectatrice sans pouvoir, aucun. Elle ne parvenait même pas à trouver les mots réconfortants dont sa meilleure amie aurait eu besoin. Connard de Peter Pan. Se relevant un peu plus encore, Sasha cligna plusieurs fois des yeux en secouant la tête pour se réveiller totalement.
Portant son regard sur Aqua, elle put voir grâce au faible éclat de la lune qui éclairait la pièce les larmes qui ravageaient son visage d'ange. Elle devinait ses yeux rougis, le tremblement certain de sa lèvre inférieure et les sanglots encore bloqués dans sa gorge. Elle froissait entre ses mains le haut de son pyjama et, si elle en avait la force et l'envie, Sasha la savait capable de le déchirer. Elle connaissait ce sentiment, cette envie de déchirer quelque chose pour le simple soulagement que cela procurait pendant deux petites secondes. Voir son amie ainsi lui donnait envie de fondre en larmes à son tour. Pourtant, elle prit une profonde inspiration et bougea de sorte à se retrouver face à Aqua, ancrant ses yeux dans les siens, les mains posées sur ses épaules dans une infinie douceur.
« Ça fait une semaine, c'est normal, prends le temps qu'il te faut ma belle. On ira le voir demain si tu veux.
- J'ai l'impression que ça n'arrêtera jamais, que j'aurais toujours mal.
- Je sais, c'est pour ça que je ne te laisse pas seule.
- Je veux que ça s'arrête... Je veux que la douleur s'arrête. »
La douleur contenue dans sa voix fit tressaillir Sasha. En entendant ces mots, elle ne put s'empêcher de penser à elle, plus jeune. À ce même genre de pensées qui n'avaient eu de cesse que de tourbillonner dans sa tête pendant des heures bien trop longues. Elle n'avait alors que treize ans et pensait déjà que l'existence était une notion trop sombre pour être explorée bien longtemps. Elle se revoyait à cet age-là, pester contre le monde entier, déversant sa rage sur des bouts de papier qui n'avaient rien demandé. Elle se revoyait encore durant toutes ces nuits passées à observer la lune et les étoiles briller dans un ciel noir d'encre, à penser amèrement au fait qu'elle n'avait pas envie de grandir, pas envie de découvrir ce qui l'attendait au bout du chemin.
En terminant le lycée pourtant, ses doutes avaient fini par se dissiper et elle y avait vu là un signe d'espoir. Un signe lui promettant que tout irait bien et que rien de mauvais ne l'attendait au tournant. Puis il y avait eu Selena et avec elle, cette impression que l'espoir n'était pas vain mais bel et bien réel. Que la vie était belle et prometteuse. Cela n'avait pas empêché les choses de tourner au vinaigre assez rapidement. Sasha se souvenait encore très bien des engueulades, des moments de doute, de haine même. Envers Selena, envers le monde entier. Envers elle-même. Elle ne se souvenait encore que trop bien des émotions qui l'avaient envahie lors de la rupture et qui l'avaient poursuivie bien après les événements. Là aussi, elle avait eu envie que la douleur s'arrête. Que tout s'arrête.
Ce sentiment, elle avait eu le temps d'apprendre à le connaître puis finalement le temps de l'apprivoiser. Au fil des ans, elle avait appris à le reconnaître et le chasser du mieux qu'elle le pouvait chaque fois qu'elle le sentait se réveiller quelque part au fond d'elle-même. Cela avait été un processus long et laborieux, encore aujourd'hui elle ne savait pas très bien comment elle avait réussi à en faire abstraction. Mais elle pouvait toujours essayer d'aider Aqua avec ça, de lui expliquer qu'elle savait au moins un peu ce qu'elle traversait et qu'au besoin, elle était là.
« Tu sais, un jour, j'ai eu envie que ça s'arrête moi aussi. »
Elle se racla la gorge en entendant sa voix paraître si faible, presque tremblante. Sasha n'aimait pas vraiment parler de ça, de cette mauvaise période, de ces mauvais choix. Elle passa nerveusement une main dans ses cheveux et adressa un maigre sourire à Aqua qui lui lançait un regard interrogateur. Sasha prit donc une grande inspiration et, par la même occasion, son courage à deux mains.
« J'étais au plus bas, pas autant que toi aujourd'hui mais ça n'allait vraiment pas. Un jour j'étais toute seule juste après les cours et j'ai fait une connerie parce que j'en avais marre. Une connerie du style médocs en trop grosse quantité. Dès que ma belle-mère est rentrée je lui ai tout dit et on est allées aux urgences du coup. C'est en la voyant terrifiée pour moi, en la voyant à peine réussir à retenir ses larmes que je me suis rendue compte que j'avais pas envie de... Que tout s'arrête.
- Pourquoi ? »
Pourquoi ?
Sasha eut un sourire tendre. La réponse était évidente pour elle mais elle avait toujours du mal à l'admettre. Sans doute était-ce à cause de cette fierté mal placée, de son entêtement à ne jamais appeler à l'aide lorsqu'elle en avait besoin. Un entêtement qu'elle retrouvait de plus en plus ces derniers temps d'ailleurs.
« Parce que la douleur c'est temporaire. Même si tu te sens plus seule que jamais, tu finis par te rendre compte que ta famille et tes amis sont encore là pour toi si tu le leur demandes ou même si tu ne dis rien. Parfois faut savoir prendre un peu de recul, et autrement qu'en prenant des médocs pour se tuer, et faire le point au calme.
- Je comprends pas le rapport. »
La rouquine sourit à nouveau et se rapprocha un peu d'Aqua de manière à la prendre dans ses bras. On pouvait dire bien des choses mais souvent, les câlins restaient la meilleure médecine du monde. Les yeux brillants d'une détermination que son amie ne pouvait pas voir, la tête nichée dans le creux de son coeur, lorsque Sasha prit la parole, ce fut avec une détermination nouvelle.
« Le rapport c'est que tu veux que la douleur que tu ressens là maintenant, s'arrête. Je sais pas si tu veux mourir, j'espère que non mais c'est une possibilité. Mais je suis là, Silas est là et ta mère aussi, les autres potes qu'on voit moins aussi ils sont là. Et si tu veux mourir aujourd'hui, dans quelques années quand tu reviendras avec tristesse sur cette période de ta vie, peut-être que tu te diras que t'as bien fait de rester. Qu'au final ça en valait la peine. »
Aqua garda le silence et Sasha ne rajouta rien. Elle était crevée aussi n'était-elle pas sûre que son raisonnement tienne très bien la route mais elle estimait avoir énoncé les grandes idées de sa réflexion et c'était le plus important. La rouquine passa un bras autour des épaules de son amie en se replaçant à ses côtés, décidant de lui servir d'oreiller pour la nuit. Elle pouvait même imaginer être en train de se reposer sur Pin si ça lui faisait plaisir. Au bout d'un long moment, la brune réussit enfin à retrouver le sommeil tandis que l'épaule de Sasha semblait avoir disparu de son corps, trop engourdie. La jeune femme finit par s'endormir à son tour au bout de quelques heures à écouter la respiration régulière d'Aquarius.
Un jour, je te le promets, ça ira mieux.
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Effleurer les étoiles
Ficción GeneralLa vie c'est les amis, les amours, les moments de flemme, les soirées, la musique trop forte, les voisins qui se plaignent et les rires qui résonnent dans la cage d'escalier d'un immeuble. Mais la vie c'est aussi la déception, les regrets et les non...