Jour 8 de la lune de l'Arc, 1183
Les mots me manquent. La Déesse a sans doute voulu me punir aujourd'hui pour tout ce que j'ai fait.
Nous avons engagé nos troupes contre l'armée royale très tôt ce matin. Malgré les complaintes d'Hubert, je me suis tenue en première ligne pour attendre de pied ferme Dimitri, et il est apparu.
Lui et moi, nous nous sommes regardés, comme la dernière fois. Hubert a hésité à engager ma retraite comme il l'avait fait il y a deux ans, mais je le lui ai interdit. Armée d'Aymr, j'étais bien déterminée à en découdre une bonne fois pour toute.
Dimitri et moi, nous nous sommes rapprochés sans échanger le moindre mot. C'est quand il s'est élancé vers moi qu'il s'est mis à me crier toutes sortes d'atrocités. En frappant Areadbhar contre Aymr, il m'a menacée de m'envoyer croupir dans les flammes de l'enfer, mais j'ai gardé mon sang-froid et ai fini par le repousser.
ー Dimitri, lui ai-je lancé. Essayons de discuter calmement et d'éviter un nouveau massacre.
ー Je n'ai pas l'intention de discuter avec une meurtrière de ton genre, a-t-il craché.
Sa réponse m'a attristée, mais elle était prévisible.
ー Je vais détruire tout ce qui t'es cher en ce monde, comme tu l'as fait avec moi ! s'est-il alors mis à hurler. Je vais tuer tes hommes, tuer tes amis, et quand il n'y aura plus personne, je vais te tuer toi !
Incapable de supporter une seconde de plus ses aboiements, j'ai fait signe à Hubert pour qu'il lance une offensive groupée et qu'il brise les lignes royales. Dimitri et moi, nous nous sommes ainsi séparés, moi déchirée par un regret profond, lui sans doute animé par des pulsions bestiales qui ne demandaient que ma tête pour être apaisées.
Après quelques heures et grâce aux actions de plusieurs de mes camarades, nous avons finalement réussi à repousser l'armée royale. Ils ont alors entamé une retraite humiliante et je n'ai pas ordonné la poursuite, consciente des lourdes pertes que nous venions de subir. Le sang avait assez coulé pour aujourd'hui. Je ne savais pas à quel point j'avais raison...
En fin de journée, comme à mon habitude après une si rude bataille, je suis retournée seule sur les lieux de l'affrontement pour recueillir mes morts. Par respect pour mes hommes, je viens les voir une dernière fois avant qu'ils ne finissent enfouis sous la terre. Mais... cette fois-ci je ne m'attendais pas à tomber sur elle.
Alors que j'avançais sur le champ de bataille, une forte odeur de sang provenant d'une bâtisse en ruine est parvenue jusqu'à moi. Je m'en suis donc approchée, redoutant ma découverte. Il y avait là des dizaines et des dizaines de cadavres, ceux de soldats impériaux, pris dans une embuscade royale sans doute. Lentement, j'ai posé mon regard sur chacun de mes hommes, et c'est là que je l'ai découvert. Le corps sans vie de Mila, transpercé par une lance. Ses yeux tournés vers le ciel étaient recouverts d'un voile blanchâtre et sa bouche était encore crispée par la douleur. Du sang avait giclé partout sur son visage. Je suis tombée à genoux.
Ma première réaction a été de poser ma main sur son cœur, dans l'espoir de le sentir battre. Mais elle était glacée, morte depuis un moment déjà. J'ai alors eu un mouvement de recul, horrifiée. Sa main couverte de sang empoignait encore cette lance qui s'enfonçait dans son abdomen ; elle avait dû essayer de la retirer. De l'autre main, elle serrait fort quelque chose. En ouvrant son poing, j'y ai découvert son pendentif. Je n'ai pu retenir mes larmes un instant de plus.
Je m'en veux, je m'en veux terriblement de l'avoir menée à sa mort. Comment cela a-t-il pu se passer ? Hier encore, nous discutions sous les étoiles... Comment a-t-elle pu me quitter si vite, si discrètement, sans même me dire au revoir, sans même m'adresser un seul sourire d'adieu ? À vrai dire, je la croyais invincible sur un champ de bataille... Mais je me fourvoyais. Aussi extraordinaire que soit Mila, elle n'en restait pas moins une simple femme.
Après avoir essuyé mes joues humides, j'ai glissé ma main dans la sienne et lui ai pris le pendentif qu'elle serrait avec tant de dévotion. En l'ouvrant, j'y ai redécouvert Violet, cette jeune femme à qui j'avais volé tout ce qu'elle avait. Au moment où j'écris, le pendentif est toujours à côté de moi, et j'hésite. J'aimerais retrouver Violet et le lui remettre en main propre. Je lui dois au moins cela...
J'ai... brisé un amour. Je me sens monstrueuse. Et dire que j'ai dû détruire tant d'autres liens durant la guerre...
Avant de partir et d'abandonner le corps de mon amie, j'ai fermé ses paupières pour qu'elle puisse à jamais reposer en paix. Mila était une jeune femme qui suivait ses idéaux jusqu'au bout et qui ne renonçait jamais. Elle avait dû se battre jusqu'à la dernière seconde avant de mourir dans cette bâtisse.
C'était mon amie. Hubert, Dorothea, Ferdinand, Petra... Tous ces gens me sont chers, mais avec Mila, j'avais l'impression de pouvoir lâcher prise et d'être moi-même. Je pensais avoir enfin réussi à sortir de cette solitude angoissante...
Pour que sa mort ne soit pas vaine, je me suis ainsi jurée de ne jamais faillir et de toujours me battre jusqu'au bout, à son image, même si je devais me retrouver seule face à une armée entière. Je n'avais encore jamais perdu quelqu'un à qui je tenais durant le conflit. Maintenant, je comprends la véritable douleur d'un deuil. Il me fait réaliser à quel point la guerre est dure pour tous. Cependant, je me refuse à m'apitoyer sur la mort de Mila : tant de gens souffrent dans nos rangs, mes larmes ont peu de valeur. Je n'ai pas le droit de pleurer, d'ailleurs je suis bien la dernière personne dont on pourrait avoir pitié. Simplement... mon cœur souffre. Et si je ne peux le dire tout au haut, au moins je peux l'écrire ici, sans que personne ne le sache.
Son corps, j'ai décidé de l'enterrer à Garreg Mach. Je ne souhaite pas qu'elle repose anonymement dans un endroit commun. J'aimerais lui adresser l'honneur qui lui est dû.
Mila, j'espère que tu es heureuse là où tu es. Merci pour tout ce que tu as pu faire pour moi.
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Le Journal d'Edelgard
Fanfiction« Professeur... J'espère que tout ceci n'est qu'une mauvaise plaisanterie de votre part et que vous reviendrez bientôt parmi nous. » Voici le journal qu'Edelgard von Hresvelg a tenu pendant cinq années, en attendant le retour de son professeur (FByl...