Jour 16 de la lune de la Harpe, 1185
Quelle honte...
À Enbarr, je m'étais recluse dans ma chambre lors de mon après-midi de temps libre pour me consacrer à la finition d'une peinture. Je l'avais commencée il y a quelques semaines et j'étais plutôt fière de mon travail. Elle ressemblait bien au professeur.
Alors que j'étais penchée sur la toile, effectuant quelque retouche précise, Hubert a soudain ouvert la porte de ma chambre sans me prévenir. Il m'a découverte, entourée de mille croquis, de mille reproductions du professeur dans des positions parfois... gênantes. Folle de colère, j'ai essayé de les lui cacher en vain.
ー Hubert, sortez immédiatement ! me suis-je écriée, rouge de honte.
Désolé, il est immédiatement parti et s'est excusé derrière ma porte. Promenant mon regard sur mes dessins maintenant désordonnés, j'ai alors essayé de me calmer. Hubert avait-il vraiment vu... tout ça ?
ー Dame Edelgard, a fait timidement sa voix. Était-ce le professeur ?
ー Taisez-vous !
Paniquée, j'ai essuyé mon front humide avec mon poignet : ma main était couverte de peinture.
ー Votre tableau était ressemblant, a continué Hubert.
ー Par pitié, dites-moi que vous n'avez vu que cela.
ー De quoi parlez-vous ?
J'ai plissé les yeux, méfiante. Il n'aurait jamais pu ne pas remarquer mes esquisses.
ー Que vouliez-vous me dire ? ai-je demandé d'un ton aigri.
ー Votre oncle demande à vous voir.
ー Dites-lui que j'arrive.
Aussitôt, j'ai rajouté :
ー Et la prochaine fois, annoncez votre présence avant de d'entrer, enfin ! Je ne vous pensais pas si vulgaire !
Derrière la porte, j'ai entendu un ricanement qui m'a fait froid dans le dos. Lorsqu'il a fini par s'éloigner, je me suis écroulée sur ma chaise.
J'ai dû rester cinq bonnes minutes immobile, morte de honte. Je n'avais qu'une envie, c'était de creuser un trou et de m'y cacher. Quand j'ai senti mes forces revenir, je me suis finalement levée et ai commencé à rassembler mes croquis qui avaient volé dans tous les sens. Chagrinée par certaines feuilles qui s'étaient froissées dans ma panique, j'ai essayé d'atténuer les plis. Après les avoir rassemblées en un paquet imposant, je suis retournée devant ma peinture et ai soudain remarqué que mon pinceau avait ripé sur la toile. Catastrophée, j'ai immédiatement repris ma palette et ai essayé de rattraper ma bêtise. Je suis parvenue à redonner une harmonie à l'ensemble, puis j'ai éloigné le tableau de tous mes pots de peinture. Je l'ai posé à côté de mon lit et l'ai regardé un instant. J'avais peint le professeur en portrait, tourné de trois quarts. Sur ses lèvres, on pouvait apercevoir un sourire discret. Dans ses yeux, un éclat chaleureux. Tout à coup, j'ai senti des rougeurs apparaître sur mes joues. Me trouvant idiote, j'ai aussitôt frotté mon visage dans l'espoir de les faire disparaître.
ー Bon sang ! me suis-je exclamée.
Je me suis précipitée dans ma salle de bain et ai passé de l'eau sur mes joues ; je venais d'y mettre plein de peinture. Une fois nettoyées je me suis redressée et me suis regardée dans le miroir. J'étais complètement essoufflée...
ー El, qu'est-ce qui t'arrive ?
Je me parle rarement à moi-même comme cela. J'imagine que j'avais été si mouvementée que je ne faisais plus attention à ce que je faisais.
J'ai fini par me calmer et ai rejoint mon oncle comme Hubert me l'avait demandé. Cependant, en rentrant le soir dans ma chambre, revoir le tableau m'a énormément émue. Durant toute sa période de réalisation, c'était comme si j'avais été aux côtés du professeur et cette idée m'avait été plus qu'agréable. J'étais si impatiente de la revoir que je n'avais pu retenir mes élans créatifs... Ah, je sais que je devrais être un peu plus réaliste. Peut-être qu'elle ne reviendra pas, que je me fais des histoires... Mais j'ai envie d'y croire.
J'ignore combien de fois je l'ai dit dans ce journal, mais elle me manque... Elle me manque énormément. En fait, je crois enfin oser le dire... Je l'aime. Mais l'accepter ne me soulage pas pour autant : j'ai peur pour elle, je ne sais toujours pas où elle est, je ne sais pas même si elle est encore en vie... ! Et si elle revenait lors du festival du Millénaire... partagerait-elle mes... sentiments ? Je rougis rien qu'en y pensant.
Je ne dois pas me laisser aller à de telles futilités ! Je mène une guerre, ai-je le droit d'aimer quand d'autres souffrent ? Je m'efforce de refouler ce que je ressens, ne sachant pas à qui en parler. Si encore Mila était là... Autour de moi, à qui pourrais-je confier mes doutes ? Peut-être à Dorothea, mais... Arrêtons cette stupide réflexion. Je pourrais tout rayer, mais pour une fois je vais m'en empêcher. Je suis fatiguée, je crois que je vais bientôt aller me coucher.
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Le Journal d'Edelgard
Fanfiction« Professeur... J'espère que tout ceci n'est qu'une mauvaise plaisanterie de votre part et que vous reviendrez bientôt parmi nous. » Voici le journal qu'Edelgard von Hresvelg a tenu pendant cinq années, en attendant le retour de son professeur (FByl...