Chapitre 40

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"Après me l'avoir annoncé, Maël ne voulut plus aborder le sujet. Je respectai son choix, mais je m'inquiétais tout de même; il m'assura que c'était mieux comme ça. Et je n'insistai pas. Moi, je l'avais vu venir. Ce n'était pas ta grand-mère; elle n'aurait pas attendu aussi longtemps pour lui. Elle était riche et belle; mon ami avait juste servi de passe-temps, comme Joséphine, finalement. Sauf qu'elle avait l'air consciente de la situation, alors que Maël était tombé dans le piège de l'amour aveugle. Avec ma Louise, ça faisait presque dix-huit ans qu'on se connaissait. Surtout, ne cède jamais à la déraison; les peines de coeur ne sont faites que pour les gens qui en ont les moyens."

"Un accord du signé entre Desmichels et Abd El Kader le jour suivant, au 26. Plus d'attaques de sa part, donc, et beaucoup moins de travail pour nous; on nous avait pourtant à nouveau cantonnés aux fortifications ou à l'acheminement des denrées pour les marchés d'Oran. Maël, qui avait été déclaré inapte à combattre, restait même derrière les remparts; on lui avait trouvé une tâche de secrétariat auprès des officiers d'état civil en attendant son départ. Il s'occupait, avec d'autres traducteurs, des relations avec les Juifs de la ville. Comme il était apprécié par Monsieur Barat, qui lui même était apprécié de sa communauté, on lui faisait davantage confiance."

"Un jour que nous revenions d'une ronde, nous ne le trouvâmes pourtant pas à son poste. Quand nous interrogeâmes notre sergent, ce dernier nous répondit qu'il avait été demandé par le Général lui-même.

'J'ai l'impression que Péradec a des connaissances bien plus haut placées que ce qu'il veut nous faire croire, commenta-t-il. Et pourtant, il n'est pas pédant.'

Nous approuvâmes et l'attendîmes patiemment. À son retour, il était très agité. Il s'arrêta devant nous et nous dit:

'Je dois aller aux magasins demander du papier et de l'encre.'

Puis il partit sans un mot de plus. Le sergent haussa les épaules; notre ami était tellement ailleurs qu'il décida de ne pas le retenir.

'Il reviendra dans quelques minutes. Laissons-le se calmer d'abord. Allez boire un coup, vous bossez depuis l'aube. Je vous appelerai quand nous aurons de nouveaux ordres.'

Trop heureux de pouvoir enfin nous asseoir, nous lui obéîmes de bon coeur. Quand nous eûmes trouvé un coin à l'ombre, Estève me demanda:

'Bon, il a quoi, Maël?'

Je me tournai vers lui. Thierry aussi attendait ma réponse, inquiet aussi, sans doute.

'Il a quoi? Bah il est comme d'habitude, non? tentai-je.

-Tu nous as pris pour les derniers des imbéciles, non? Depuis qu'il est guéri, on dirait qu'il n'a plus aucune expression! Pire qu'avant, et c'est dire! Et là, il nous tire une tête de quinze pieds depuis qu'on est rentrés! Alors maintenant, tu vas nous dire ce qu'il se passe!

Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant