"Vous en êtes au début de la prise d'Alger."
Iris posa sa tasse avant de s'enfoncer dans son siège.
"Quelque chose me dit que vous ne me racontez pas tout, le scribe.
-Vous m'avez gentiment ordonné de ne vous livrer qu'un résumé des faits."
Comme elle ne répondait rien, il saisit sa chance:
"Thierry Mougel.
-Quoi, Thierry Mougel?
-C'est le nom du soldat que je vous ai demandé hier."
La vieille dame eut un bref sourire entendu.
"Ainsi, je ne me trompais point.
-Vous ne vous trompiez pas sur quoi?
-Vous verrez."
Sans doute se plaisait-elle à le voir essayer de contenir son envie d'insister. Elle changea de sujet:
"Nous arrivons enfin à un événement qu'il me tardait de raconter. Si vous êtes prêt...
-Je suis prêt.
-Bien."
"Nous attendîmes avec appréhension l'arrivée de d'Arcourt. Mon père n'aimait sûrement pas qu'on le fasse attendre. Il était allé battre la campagne à cheval toute la matinée, et à présent il demeurait enfermé dans son bureau. Ma mère, elle, patientait en brodant en compagnie d'Agathe, gérant de la plus élégante des façons son impatience. Pourtant, elle avait été la première informée de la demande. Mais une dame n'avait pas à manifester un quelconque empressement."
"Et moi, je restais dans le jardin d'hiver à suivre des yeux pas soeur, qui faisait les cent pas.
'Il y a quelque chose que je ne saisis pas dans votre relation', finis-je pas déclarer.
Elle cessa sa course effrénée d'allers et retours pour me fixer, prise d'une soudaine angoisse.
'Comment cela? Quelque chose te semble-t-il anormal? Irréaliste? Décevant?'
Essayait-elle de me convaincre de l'absurdité de leur union? Étais-je en plein rêve?
'Non! Enfin... non. Je me demandais juste si... Est-tu vraiment contente de cette demande?
-Je suis comblée, quelle question!
-Alors peux-tu cesser d'essayer de creuser un fossé à la seule force de tes pas? Je crois que le jardinier dispose de suffisamment d'espaces pour s'occuper de nos plantes!'
Honteuse, ma soeur me jeta un regard perdu avant de venir s'asseoir en face de moi.
'Et s'il ne venait pas?
-Il viendra.'
Il avait bien trop besoin de sa dot. Je tus cette éventualité.
'Le penses-tu vraiment?
-Si je ne le pensais pas, je ne l'aurais pas dit. J'espérais que tu connaîtrais davantage ta benjamine avec les années.'
J'adorais jouer sur la corde de la culpabilité avec elle mais, à ce moment, cette méthode me laissait un arrière-goût amer."
"Lorelei allait tenter de s'excuser, quand Alexandre vint à notre rencontre.
'Mesdemoiselles, Monsieur d'Arcourt et Madame votre mère vous attendent dans l'entrée.'
Mon aînée bondit de son siège en se tordant les mains. Je fus un instant tentée de commenter son manque de retenue, mais je m'absteins. J'avais les meilleures idées aux pires moments.
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Historical FictionPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...