"C'était Yusuf qui venait nous voir; le traducteur qui s'était fait la malle quelques mois plus tôt. Il nous regarda un par un, stupéfait sûrement de nous trouver ici, mais soupira:
'J'aurais dû m'y attendre.'
Et revenant à sa mine de circonstances, il nous annonça:
'J'ai été envoyé vous demander s'il y avait des malades.
-Vous êtes trop bon', marmonna Esteve.
Je lui donnai un coup dans les côtes. Yusuf lui jeta un regard noir.
'C'est sérieux. S'il y a quelque chose à déclarer, vous feriez bien de me le dire tout de suite. Ensuite, je vous laisserai mariner ici jusqu'à ce que l'émir décide de vous faire sortir.'
Je sautai sur l'occasion, avec Thierry, pour lui montrer Maël.
'Il est blessé, indiquai-je. Et ça a l'air grave.'
Yusuf s'agenouilla à côté de notre ami pour inspecter sa plaie et grimaça.
'S'il reste ici, son état ne fera que s'empirer. Je vais essayer d'obtenir qu'il soit amené au camp.
-Je suis toujours conscient, signala le concerné avec agacement.
-Et tu n'es pas loin de ne plus l'être, répliqua l'interprète en se relevant. Je me charge d'abord de toi et je reviens vous voir."
Quand il fut parti, tout le monde se jeta sur Maël pour lui poser de multiples questions. Allait-il bien? Avait-il mal? Voulait-il s'allonger? Maël s'écarta d'eux d'un mouvement excédé. J'intervins:
'Non il est pas bien. Foutez-lui un peu la paix.
-Je vais prier', déclara-t-il alors d'un coup."
"Nous nous tûmes tous, surpris par cette décision. Il n'avait pas dit autre chose que 'Je vais bien' durant plusieurs mois, et il nous sortait cela. Estève tenta de le raisonner:
'Ecoute, c'est bien de prier, hein. Pas que je veuille t'empêcher d'accéder au salut de ton âme. Mais ce serait peut-être mieux de te reposer la tête, non? Parce que je ne sais pas si tu as remarqué, là, mais ton doigt a l'air de vouloir se décrocher de ta main.'
Mais Maël ne l'écouta pas. Il se leva difficilement et s'agenouilla un peu plus loin dans la grotte, son rosaire pendant de sa main droite.
'Il nous fait quoi, là?' me chuchota Esteve.
Je haussai les épaules et me tournai vers sa silhouette parfaitement immobile. Au moins, il ne chancelait plus."
"Thierry le fixait, toujours aussi préoccupé.
'Ça t'inquiète tant? l'interrogeai-je.
-T'as jamais vu quelqu'un avec de la gangrène?
-Pas que je me souvienne.
-Il a d'la fièvre depuis un petit moment. Il commence à délirer. Et après la fièvre, c'est rarement la guérison.'
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Mémoires du Siècle Dernier, tome 2 : Le journal
Historical FictionPrintemps 1833, Pays de Retz, Loire Inférieure Iris de Douarnez, la cadette, continue son apprentissage auprès de son père, selon les circonstances. Depuis qu'elle a lu la lettre de Monsieur Faure, elle n'ose pas annoncer l'affreuse nouvelle à Maël...